Quelles transformations du management ces dernières années ?
Des évolutions structurelles de la société et de la Fonction Publique Territoriale, conjoncturelles (crise sanitaire), technologiques et réglementaires conduisent le management à une inéluctable transformation. Les modes de management, la posture, les modalités de gestion des besoins individuels et collectifs des agents, les compétences requises ne sont plus ceux du siècle dernier et continuent d’évoluer à une vitesse inédite. Le rôle du manager se complexifie. Il lui est donc nécessaire de se questionner plus que jamais, d’adapter ses pratiques, et d’être accompagné si besoin.
Le monde est en pleine mutation. Les bouleversements sont nombreux et rapides. Sans doute plus rapides que jamais. En toute logique, le management n’est pas épargné. La Fonction publique n’a pas d’autre choix que d’être consciente et à l’affût de ces changements, pour s’adapter et continuer d’allier au mieux délivrance de service public et qualité de vie au travail.
Le management, que nous entendrons ici volontairement comme » l’art de diriger les femmes et les hommes, afin d’obtenir une performance satisfaisante « , a considérablement évolué depuis la fin du XIXème siècle. Dans un premier temps à un rythme relativement lent (de l’organisation scientifique du travail, en commençant par le Taylorisme, jusqu’à l’École des relations humaines), avec quelques ralentissements voire régressions dus au contexte international (deux guerres mondiales, crise de 1929, chocs pétroliers…). Puis à un rythme accéléré ces dernières années, et ce pour plusieurs raisons.
Des raisons à l’échelle mondiale
Manager les hommes ne peut pas être décorrélé de l’expérience de vie de l’Homme en lui-même. D’une part, nous sommes de plus en plus informés du monde qui nous entoure. D’autre part, nous manifestons une perte de sens inédite.
A ce sujet, Sébastien BOHLER, dans son ouvrage » Où est le sens » (éditions Robert LAFONT – 2020) évoque une perte de sens affectant notre société dans son ensemble. Il s’attache à en faire la démonstration à travers l’exemple suivant, insolite et marquant.
- La cathédrale Notre-Dame de Paris s’enflammait le 15 avril 2019. Au moment où la flèche s’effondrait, beaucoup, de par le monde et à travers les retransmissions télévisées en temps réel, ont senti quelque chose basculer, le signe d’un effondrement ultime. Dans les jours qui ont suivi, plus d’un milliard d’euros de dons ont afflué pour la reconstruction de ce symbole de la chrétienté. L’émoi traversait les couches sociales, les pays et le confessions, chrétiens comme athées, juifs ou musulmans.
« Nous pleurions le sens. Nous pleurions un monde presque inconcevable, depuis longtemps révolu, où des indigents affamés pouvaient donner toutes leurs forces pour participer à la construction d’un édifice dont ils ne verraient jamais l’achèvement, sans considération pour leur propre existence, mais en étant assurés que tout cela avait une signification, et qu’en apportant leur pierre à cet édifice ils participeraient à un dessein supérieur. »
Un dessein éternel. Ils travaillaient pour que leurs œuvres durent et s’inscrivent dans un projet qui les dépasse, un projet collectif.
Le monde s’interroge
Pouvons-nous encore maintenir une civilisation basée sur la compétition, l’individualisme, le profit et la consommation ? Le déclin ou la reconfiguration des institutions traditionnelles (Etat, famille, école, armée, églises, partis politiques…) renforcent la puissance de ces questionnements. Et l’état de notre planète tend enfin à questionner la frénésie aveugle de l’Homme. Dans un contexte d’individualisme croissant, et en même temps d’ouverture vertigineuse sur les autres et le monde, les personnes sont à la recherche de nouveaux repères et d’appuis. Plus largement, la question devient celle-ci : quelle est la cohérence de nos vies ? Quelles valeurs sommes-nous prêts à défendre ?
Des raisons d’ordre national
A l’échelle de la France et des trois versants de la Fonction publique, nos audits en attestent chaque jour : le sens manque. Le fameux « sens du service public », principal moteur de l’action individuelle et collective depuis les origines de la mission étatique (servir l’intérêt général), apparaît en progressive perdition ces dernières années, même si la récente crise sanitaire a sans doute renforcé, pour beaucoup d’agents, le sentiment d’utilité à l’échelle de la société. L’agent en vient à ne plus savoir réellement pourquoi il réalise ses tâches (exemple classique des tâches routinières effectuées au quotidien, dans un contexte parfois de règles ubuesques…), et le sens que cela peut bien avoir. Comment renouer avec le sens, à commencer par le sens du travail quotidien ?
Force est de constater que les facteurs explicatifs des transformations managériales sont pléthoriques.
Tout d’abord, les budgets sont de plus en plus contraints depuis 2007. Les textes de loi ont soit conduit à des réductions de poste, soit baissé les dotations générales de fonctionnement (DGF). Parallèlement à ces évolutions législatives, les réorganisations et réformes se sont multipliées :
- Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (2014),
- Loi portant réforme de la nouvelle organisation territoriale de la République (2015),
- Loi de transformation de la Fonction publique (2019),
- Accord télétravail (2021)…
L’ensemble de ces décisions conduisent à de nouvelles répartitions des compétences et des dotations, et ont un impact sur le temps et l’organisation du travail.
Autre évolution non négligeable à l’échelle mondiale et dont la répercussion est vive à l’échelle nationale : le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et, par suite, l’accélération de la communication. Toutes les sphères de la vie quotidienne sont touchées par ce déferlement technologique : santé, loisirs-culture, achats, impôts, formation, et travail !
La crise sanitaire débutée en 2020 a d’ailleurs « accéléré cette accélération déjà en cours » ! Le télétravail a dû souvent être mis en place à la hâte, et parfois à marche forcée.
Citons enfin deux autres facteurs explicatifs, à l’échelle nationale, des transformations managériales de ces dernières années.
D’une part l’impact de la réglementation sur les encadrants (télétravail, risques psychosociaux, qualité de vie et des conditions de travail, Plan santé au travail de la Fonction Publique 2021-2026…).
D’autre part, la frontière vie professionnelle/vie privée n’a jamais été aussi ténue (risque de connexion permanente et estompage de la distinction vie privée/vie professionnelle conduisant au risque d’épuisement), malgré les efforts déployés pour affirmer le droit à la déconnexion.
Des transformations managériales à tous niveaux
Les récentes évolutions sociétales et les changements au sein de la Fonction publique sont donc très nombreux. L’organisation du travail en est bouleversée. Et il est de plus en plus fréquent que, lors de séances de coaching ou de formations, des encadrants nous livrent leur désœuvrement face à leur environnement en mutation.
En effet, le management tel que découvert ou appris à la fin du XXième et au début du XXIème siècle ne ressemble plus à ce qui est attendu sur le terrain aujourd’hui. De nouveaux repères sont nécessaires. Et le management a son rôle à jouer dans la quête de sens globale.
Tout d’abord, la relation hiérarchique a changé. Cet aspect, comme les autres, a été amplifié par la crise sanitaire. Nous sommes passés d’une culture du contrôle en continu (contrôle de ce qui est réalisé et des modalités) à une culture du suivi des résultats (« management par objectifs ») basée sur la confiance, l’autonomie, la responsabilisation et le sens. L’encadrant endosse davantage un rôle de « manager-coach » dans le sens où il accompagne et guide les membres de son équipe, en veillant à assurer une cohésion d’équipe autant qu’un respect de la personnalité et des compétences de chacun. Désormais, l’encadrant manage tant le collectif que l’individuel.
L’encadrant, qui connait nécessairement chaque membre de son équipe (compétences et appétences, forces et axes de progrès, éventuelles difficultés personnelles ponctuelles ou pérennes), veille à personnaliser son accompagnement, au service du collectif et de la mission de l’équipe. En parallèle, le style de management passe d’un management directif à un management davantage participatif. Ce dernier aspect dépend cependant du contexte (urgence ou non) mais également du degré d’autonomie de tel ou tel agent, de son expérience dans le poste, et du métier qu’il exerce.
La relation hiérarchique évoluant, et les attentes des collaborateurs étant désormais différentes, c’est à une véritable révolution des compétences attendues du manager à laquelle nous assistons : les « soft skills » (compétences relationnelles et comportementales) d’un encadrant l’emportent désormais sur les « hard skills » (compétences techniques). Il n’est pas question de remplacer les hard skills par les soft skills mais de sublimer les unes par les autres, d’atteindre l’équilibre qui permettra un fonctionnement optimal.
Les soft skills apparaissent comme la solution à certains enjeux majeurs du monde du travail aujourd’hui, et les encadrants de la Fonction publique doivent y être préparés. Les soft skills sont une réponse majeure à « l’environnement VICA » (volatile, incertain, complexe, ambigu).
Au caractère désormais éphémère des hard skills (il fut un temps où savoir utiliser un Minitel était une compétence recherchée…) répond la stabilité et la longévité des soft skills.
Dans un monde en quête de sens, marqué par une pandémie aux effets psychologiques désormais évidents (prise de conscience de la mort qui peut frapper plus rapidement que prévu à notre porte ou à celle de nos proches, sentiments d’isolement, velléités de reconversions, participation au mouvement de « grande démission » pour ne pas « perdre sa vie à la gagner »…), il n’a sans doute jamais été aussi difficile d’assurer la fonction de manager. Et certains managers réalisent qu’ils n’en ont ni les compétences, ni l’envie et, en cette période post Covid, ni l’énergie, ni le temps. Il est essentiel, plus que jamais, de recruter ou promouvoir des managers disposant des appétences et des qualités en adéquation avec les attendus qui, on l’a dit, sont redéfinis. Comme il est essentiel que les organisations permettent aux managers d’exercer leur rôle. Comme il est essentiel, enfin, d’accompagner un manager dont les compétences ne sont pas au niveau et qui souhaite y pallier. Il est possible, en effet, de renforcer de nombreux soft skills (voir pistes d’actions dans l’encadré en bas de l’article).
Le manager pourra alors encadrer son équipe en déployant ses compétences tout en restant fidèle à lui-même (nécessaire authenticité). Nous pensons ici au manager qui utilise l’écoute active et se montre empathique, qui applique une équité à toute épreuve et sait manier le concept de méritocratie, qui sait garder un lien bienveillant avec chacun, qui sait maintenir des temps collectifs en présentiel et sans en abuser, qui respecte chaque type de personnalité et sait favoriser le travail en équipe, qui sait motiver et récompenser à bon escient, qui montre et garde le cap, qui est là dans les moments difficiles, qui sait gérer les conflits, gérer le stress et ses émotions. Tout cela (entre autres !) en restant humble et exemplaire.
Ce sont d’ailleurs ces compétences que les plus jeunes générations (générations Y et Z) attendent de leur supérieur hiérarchique : soutien proche du coaching, possibilité d’expérimenter, de développer leurs compétences et d’évoluer, de l’autonomie, de la reconnaissance dans le travail, et du sens (plus que jamais…).
En conclusion
Le tableau dressé peut apparaître sévère car exigeant, mais le défi à relever est d’envergure : composer avec un monde en perpétuel changement.
Encore une fois, le sujet du management n’a jamais été aussi attendu et sensible lors des missions et formations que nous délivrons tout au long de l’année. Sur cette base, il nous apparaît urgent que chaque collectivité parvienne à définir et à impulser une vision managériale porteuse de sens, de manière que chaque encadrant, mais surtout chaque membre de chaque équipe, ait la conviction d’apporter sa pierre à l’édifice. L’édifice, ici, du service public français.