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Prévention et santé au travail Employabilité
Publié le 7 octobre 2024 Modifié le 10 octobre 2024
Auteurs
  • VHMN – user icon
    Quentin Doisy
    Consultant en ressources humaines - Coach professionnel certifié
Temps de lecture : 7 minutes

Perte de sens au travail : causes identifiées et dispositifs à activer

Perte de sens au travail : causes identifiées et dispositifs à activer

La perte de sens au travail, en parallèle de la perte de sens du travail, est aujourd’hui reconnue comme faisant partie des risques psychosociaux émergents. Nous vous proposons dans cet article de revenir sur le concept spécifique de sens du travail, en soulignant les conséquences de la perte de ce sens ainsi que les éléments récurrents mis en cause pour l’expliquer (intensification du travail au sein des organisations, conflits des valeur, perte de vue de la finalité). Partant du principe que l’organisation du travail est déterminante pour que celui-ci ait du sens, différentes pistes d’actions sont proposées pour accompagner les managers dans leurs nouvelles responsabilités afin de développer les ressources nécessaires à la réalisation d’un travail porteur de sens et facteur de santé.

Sens du travail, de quoi parlons-nous ?

Alors que trouver du sens au travail signifie exercer une activité compatible avec ses valeurs personnelles, dans le but de s’épanouir professionnellement mais surtout personnellement, le concept de « sens du travail », qui relève du sens que l’individu donne à l’organisation du travail et au travail lui-même (exigences du travail, autonomie, utilité, occasion d’apprentissage, contenu du travail et perception de la finalité…) est loin d’être consensuel en sciences sociales. Le sujet est complexe et ses impacts sont multiples. Plutôt que de se limiter à dire que le sens du travail serait d’abord et avant tout le salaire, on peut distinguer trois dimensions du sens du travail :

Les 3 dimensions du sens du travail : 

1. Le sens par rapport à une finalité à atteindre,

2. Le sens des activités par rapport à des valeurs,

3. Le sens par rapport à l’accomplissement de soi.

Les deux premières dimensions concernent la transformation du monde extérieur. La troisième renvoie à la transformation de soi.

La question du sens du travail est complexe et difficile à appréhender, dans la mesure où il s’agit d’une notion qui reste théorique et très personnelle. Dans la mesure, également, où tout ne se joue plus uniquement entre les murs de la sphère professionnelle. En outre, le manager lui-même se retrouve parfois contraint de faire le grand écart entre sa capacité à apporter les conditions idéales d’exercice des missions et ses propres missions à lui.

Quelles sont les conséquences de la perte de sens au travail ou brown-out ?

La question n’en est pas moins fondamentale car les symptômes de la perte de sens sur la santé sont triples :

  • Dimension émotionnelle
    En l’absence d’intérêt et de motivation, le collaborateur peut se sentir anxieux et extrêmement tendu. Il peut également être de mauvaise humeur et n’avoir aucune envie de travailler. Par conséquent, il devient détaché vis-à-vis de son travail et de ses collègues.
  • Dimension cognitive
    En cas de perte de sens du travail, le collaborateur perd aussi sa concentration et a du mal à réaliser plusieurs tâches à la fois. De plus, il n’arrive pas à prendre des décisions facilement et à avoir une analyse critique.
  • Dimension aspirationnelle
    L’un des effets de la perte de sens est le désengagement du collaborateur. Les valeurs associées au travail sont affaiblies et s’accompagnent d’une baisse de motivation et du moral. Par conséquent, le collaborateur se dévalorise et doute de ses propres compétences.

Certains de ces indicateurs de changement de comportement peuvent être révélateurs de dégradation de la santé mentale et de risque de burn-out. Ils doivent susciter la vigilance des managers.

Si vous souhaitez aller plus loin, consultez les résultats 2024 de notre enquête sur la prévention de l’usure professionnelle.

Quels sont les principaux facteurs de perte de sens du travail ?

L’Intensification du travail

Dans de nombreux secteurs, et c’est le cas tant pour les métiers de la fonction publique territoriale que de la fonction publique hospitalière, nous constatons une indéniable et continue intensification du travail. Le culte de la vitesse bouscule la vie professionnelle : pression accrue et exigences de rentabilité croissante.

Sous l’impulsion de modèles de management visant une meilleure performance, d’attentes plus fortes des usagers et de la transformation numérique, le temps de travail se pressurise, et le « management par le chiffre » prend de l’ampleur (jusqu’à cristalliser les tensions, comme à l’hôpital avec la T2A(1)).

Les temps informels, considérés comme improductifs, et pourtant favorables aux régulations du travail et à la transmission des savoirs tendent à disparaître au profit de processus qui se complexifient. Or, disposer de marges de manœuvre dans son travail préserve des atteintes à la santé.

En 2019, 37 % des actifs occupés français déclarent leur travail « insoutenable », au sens où ils ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite (Mickael Beatriz – 2023). Les métiers du secteur du soin (infirmières et aides-soignantes) et de l’action sociale, ainsi que certains métiers ouvriers non qualifiés apparaissent les moins soutenables.

Certes aucune organisation ne peut fonctionner sans règlement, mais gare à la déshumanisation et à la perte de sens face à l’orgie procédurale. Process administratif, process de recrutement, process juridique, process de sécurité… plus rien ne semble devoir être laissé au hasard, au pragmatisme, à la responsabilité, à la lucidité. S’ensuit, là encore, une individualisation qui affecte la santé des personnels en limitant le soutien dont ils pourraient bénéficier et la transmission des informations utiles et des savoirs clés.

La perte de la satisfaction du travail accompli

Une enquête DARES-DAGFP de 2016 allait déjà confirmer cette vision : 60 % des personnes interrogées s’estiment exposées à des conflits de valeurs (éthiques à 18 %, satisfaction du travail accompli à 12 %, inutilité du travail à 11 %, manque de sens à 8 % avec notamment un travail sous pression et une charge de travail trop importante). Ce nouveau rapport au temps place le quotidien professionnel sous une tension inédite et l’expose à des risques autant physiques que psychologiques.

Focus sur la mission de service public

Nous constatons que le « sens du travail » des agents diminue significativement depuis 2016 (-4,3 %)(2) et que le sentiment de fierté d’accomplir une mission de service public ne semble plus suffire pour motiver les équipes. Le premier baromètre sur le sens au travail de l’Observatoire national des risques psychosociaux dans la fonction publique, publié en mars 2024, révèle un sentiment d’inutilité et de remise en question de la valeur morale du travail. La problématique repose manifestement non pas sur la perte de sens du service public, mais spécifiquement sur les modalités de réalisation du travail à fournir qui, elles, ne font pas suffisamment sens. Parvenir à gérer cette évolution est une urgence pour les managers, alors même que les encadrants expriment eux-mêmes une forte perte de sens dans leur travail.

L’impact du télétravail sur le sentiment d’appartenance

Une autre évolution majeure repose sur l’accélération du développement du télétravail. L’éloignement physique avec les équipes, lorsque le recours au télétravail est possible, bouleverse la relation hiérarchique et, plus globalement, les relations interpersonnelles jusqu’au sentiment d’appartenance à son équipe, voire à son institution. Charge à l’encadrant de gérer ce dispositif pour en préserver les avantages et prévenir les risques associés.

Comment prévenir la perte de sens ?

Il faut que l’encadrant ait l’appétence d’être un bon encadrant et, donc, qu’il ait l’envie d’évoluer dans ce « sens » qui est nouvellement donné à sa fonction. Mais la responsabilité n’est pas à mettre sur le dos exclusivement des managers, mais plutôt sur tout l’écosystème.

Privilégier une approche systémique

Pour « manager la perte de sens », c’est aussi, plus globalement, une approche systémique qui doit être privilégiée. Le niveau de conscience doit être interrogé à tous les niveaux des structures publiques, à commencer par les Directions. Il s’agit de repenser le travail et notamment le travail public. Humainement, il n’est pas acceptable de conduire les individus à arbitrer entre travail bien fait et réalisation d’objectifs.

Réinventer les pratiques du dialogue

Partant du principe que l’organisation du travail est déterminante pour que celui-ci ait du sens, il nous faut réinventer au plus vite les pratiques de dialogue au plus près du travail réel pour développer les ressources nécessaires à la réalisation d’un travail émancipateur et facteur de santé.

Il faut prendre très au sérieux la question du sens parce qu’au cœur de l’activité de travail se loge un pouvoir d’agir qui n’est pas entièrement éliminable. Les personnes au travail portent des valeurs et des aspirations non réductibles aux objectifs du management. Leur sensibilité, leur intelligence, leur expérience sont nécessaires à l’efficacité. Le risque est de continuer à réduire la part vivante du travail et d’accentuer ainsi la perte de sens. En parallèle, il convient de revaloriser l’art du management.

Pour conclure

Il apparaît nécessaire de placer la question du sens du travail au cœur des politiques publiques. C’est dans tous les domaines d’activité qu’il faudrait faire progresser la cohérence éthique, l’impératif d’utilité sociale et la capacité de développement, afin de préserver les conditions d’une vie humaine digne. Au vu de l’important pouvoir de nuisance que détiennent la technologie moderne et la « science sans conscience », faire reculer l’emprise de la subordination dans le travail est aujourd’hui impératif.

Ne plus pouvoir répondre à la question du sens, c’est se déshumaniser. Voir la finalité de ce que l’on effectue est essentiel. Le sens est donc une conquête indispensable.

L’heure semble à la compréhension de la multitude des enjeux humains et organisationnels. Pour ensuite agir, au plus vite.

 

(1) Tarification à l’activité, instaurée en 2004 pour corriger les effets jugés pervers d’un système de financement global.

(2) 1er baromètre « Sens au travail dans la fonction publique » | Observatoire National des Risques Psychosociaux dans la Fonction Publique.

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