Les espaces de discussion sur le travail un levier majeur de prévention de la santé mentale
Les espaces de discussion sur le travail (également appelés EDT ou EDD) sont souvent prônés par les acteurs de la prévention des risques comme un dispositif majeur d’amélioration des conditions de travail. Depuis longtemps portée par l’ANACT, cette solution fait consensus, car discuter du travail peut intuitivement être perçu comme positif. Toutefois il apparait indispensable d’avoir une triple interrogation sur la pratique : pourquoi discuter du travail dans les organisations ? Quels freins rencontre-t-on au déploiement des espaces de discussion ? Et surtout, quelles formes ces derniers peuvent-ils concrètement adopter ?
Qu’est-ce qu’un espace de discussion sur le travail ?
Un espace de discussion sur le travail (EDT) est un outil conçu pour encourager les personnels à s’exprimer sur leur manière réelle de travailler et sur l’organisation du travail, dans le but de trouver ensemble des solutions pour améliorer les pratiques professionnelles.
En pratique, les EDT sont des groupes de travail créés pour analyser une problématique et proposer des actions. Ces échanges se basent sur des situations de travail, en reconnaissant que les agents sont les experts de leur propre métier, et que leurs idées peuvent améliorer l’organisation du travail.
Pourquoi discuter du travail dans les organisations ?
On peut d’abord s’interroger sur la nécessité qu’il y aurait à favoriser les espaces de discussion sur le travail dans les organisations. A ce titre, quatre motifs sont à souligner :
- l’existence des espaces de discussion vient rappeler la dimension vivante du travail,
- les espaces de discussion fonctionnent comme un lieu essentiel de la dispute professionnelle (où on peut exprimer des divergences d’opinion professionnelles par exemple),
- les espaces de discussion sont aujourd’hui démontrés comme un levier de prévention de l’épuisement professionnel,
- les espaces de discussion s’inscrivent pleinement comme une pratique favorisant un bon climat de sécurité psychosociale.
L’espace de discussion sur le travail : un rappel de la dimension vivante du travail
En favorisant la discussion féconde entre pairs, les espaces de discussion sont à voir comme le ciment d’une communauté de pratiques professionnelles qui peut confronter, coconstruire et amender les règles de métier qui lui sont propres. Cela permet d’élaborer des règles d’action ou des solutions appropriées, autour d’une vision commune du métier et de la qualité du travail. Les espaces de discussion sont donc un puissant levier de réflexion reposant sur la convocation de l’intelligence pratique et de l’action. De surcroit, ils sont un puissant levier de reconnaissance. En effet, à travers eux, se joue la possibilité pour chacun de voir sa pratique à la fois délibérée et reconnue comme étant conforme à une vision partagée du métier.
L’espace de discussion sur le travail : un lieu essentiel de la dispute professionnelle
La dispute professionnelle (possibilité d’échanger des opinions professionnelles divergentes) revêt un enjeu majeur en matière de santé mentale au travail. En effet, elle donne à ses participants l’opportunité de construire collectivement des ressources psychosociales. Le travailleur ne demeure jamais passif dans une situation de travail donnée. Il utilise les ressources à sa disposition (et l’espace de discussion en est une), pour réaliser un travail de qualité malgré les difficultés réelles qu’il rencontre. En corollaire, cela induit aussi que la meilleure barrière contre la dégradation de la santé mentale au travail reste la possibilité d’élaborer des compromis entre les exigences de la tâche et les ressources à disposition, le tout dans un contexte favorable à l’apprentissage.
La vertu de l’espace de discussion est de réfléchir collectivement, par exemple, sur les manières d’effectuer le meilleur geste professionnel pour atteindre les objectifs fixés ; ce qui devrait être la préoccupation principale de toute organisation.
L’espaces de discussion : un levier de prévention de l’épuisement professionnel.
La recherche en science de gestion démontre qu’il existe une corrélation significative entre l’existence de ces espaces (en nombre suffisant et de qualité) et la diminution du risque d’épuisement professionnel. Clairement, l’espace de discussion est un outil au service de la santé au travail et de la performance des organisations. C’est une « ressource énergétique » (au sens où il défend le modèle de la conservation des ressources1), permettant aussi de résoudre les situations conflictuelles au travail2.
L’espace de discussion : une pratique favorisant un bon climat de sécurité psychosociale.
Un bon climat de sécurité psychosociale est essentiel comme soutien à la bonne santé mentale au travail. Le climat de sécurité psychosociale peut être défini comme l’ensemble des perceptions au sujet des « politiques, pratiques et procédures pour la protection de la santé et de la sécurité psychologique des travailleurs »3. Autrement dit, les espaces de discussion sur le travail sont à la fois un mécanisme de résolution participative des difficultés rencontrées dans le travail et un outil qui permet la remontée des constats ou propositions auprès de l’encadrement et plus largement des personnes en charge de la prise de décision. En sus, ils témoignent d’une gouvernance saine en montrant la préoccupation de l’organisation par les enjeux de prévention.
Pour en savoir plus sur le climat de sécurité psychosociale.
Consulter l'articleQuels sont les freins au déploiement des espaces de discussion ?
Le déploiement des espaces de discussion ne semble pourtant pas aller vraiment de soi dans les organisations, alors que celles-ci ont tout à gagner à voir leurs équipes se réapproprier le travail. Plusieurs obstacles peuvent se dresser.
Le 1er frein à l’espace de discussion : l’hyper-rationalisation du travail
L’hyper-rationalisation du travail se situe à rebours du travail vivant tel qu’il est incarné par les espaces de discussion. L’omniprésence des processus de gestion (reporting, tableaux de bord, KPI…), de la standardisation du travail et plus globalement de ce que le juriste Alain Supiot désigne comme la « gouvernance par les nombres », conduit à ne considérer le pilotage de l’activité de travail que sous l’angle de la rentabilité. Envisagée strictement sous l’angle de « l’utile », toute séquence de travail qui ne s’y plie pas peut se voir remise en question si elle ne démontre pas immédiatement son efficience. Dans un tel contexte, les espaces de discussion peuvent rencontrer quelques difficultés à exister, s’il est considéré qu’ils doivent s’inscrire dans une logique de retour sur investissement à court terme, quantifiable et donc rentables.
Le 2e frein au déploiement des espaces de discussion : le maintien du modèle de management « commande-contrôle »
Bien que la tendance soit à la promotion de l’initiative ou l’agilité, le management « commande-contrôle » demeure très dominant dans les organisations. Dans les faits, le chef décide, les travailleurs exécutent et le chef contrôle la bonne exécution du travail. Dans les Fonctions publiques hospitalière ou territoriale, ce modèle couplé à un environnement de travail avec parfois de multiples strates hiérarchiques, demeure prépondérant. Dans ce contexte, l’espace de discussion peut peiner à s’implanter ou à avoir de l’impact. Pour avoir du sens, il doit avoir un effet concret et proposer la perspective d’une prise de décision effective. Cela doit donc reposer sur une confiance accordée par l’encadrement aux collectifs qui participent à cet espace de discussion, avec l’intégration de cette « prise de risque » féconde que constitue la légitimité accordée à ce qui peut en sortir. Or, cela n’a rien d’évident car cela suppose la délégation d’une certaine forme de pouvoir.
Le 3e frein : mal interprété, l’espace de discussion succombe-t-il à la « gadgétisation » ?
En raison de la difficulté à intégrer une vraie participation des travailleurs dans l’organisation de leur propre travail, l’espace de discussion risque parfois de devenir un simple gadget. Souvent, la culture dominante, bien qu’encourageant en apparence la participation, se limite à informer les travailleurs sur les changements (évolution des processus de travail, nouveaux projets…), mais hésite à leur donner plus de pouvoir d’action. Parfois, elle va jusqu’à les consulter (demander leur avis sans toujours le prendre en compte), mais elle assume rarement une véritable participation à la prise de décision, ce qui empêcherait une co-construction. Sur ce point, les organisations ont encore beaucoup de progrès à faire.
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Nous contacterLes espaces de discussion : de quoi parlons-nous concrètement ?
Les espaces de discussion relèvent donc d’une « hygiène organisationnelle ». Ils constituent à la fois une alternative crédible à la gouvernance par la toute-puissance du prescrit et ils sont un levier de prévention de la santé mentale au travail. Il reste alors à mieux identifier leurs conditions d’existence et leurs diverses formes possibles.
Les conditions d’existence d’un espace de discussion
L’existence et la pérennité des espaces de discussion reposent d’abord sur un management habilitant. Un management habilitant soutient positivement l’engagement au travail qui se déploie dans un cadre serein et autonome. A cette fin, les espaces de discussion prennent toute leur importance car ils participent directement à la régulation conjointe de l’activité et acquièrent une influence directe sur les résultats du travail. Ils incarnent une participation concrète à la prise de décision et à la création de marges de manœuvre pour travailler.
Qu’est-ce qu’un management habilitant ?
C’est un management qui favorise la délégation de pouvoir, qui partage des informations importantes au regard de l’activité, ainsi que les connaissances nécessaires pour sécuriser le bon accomplissement des tâches et qui fait preuve de reconnaissance (des résultats obtenus aussi bien que des efforts fournis ou du respect des « règles de l’art »).
L’espace de discussion : un levier de développement dans la dimension psychosociale du travail
En permettant aux collectifs de réfléchir et de coconstruire les régulations et modalités d’action, les espaces de discussion agissent comme des lieux où on délibère autour de la dimension psychosociale du travail, les transformant ainsi en véritables leviers de prévention. Cela suppose plusieurs conditions :
- L’espace de discussion doit répondre à une ingénierie spécifique. Il est bien distinct d’un simple moment de convivialité.
- Il doit mettre le travail au cœur de la discussion, en assurant une parole libre à chaque participant.
- Il doit ne pas être instrumentalisé à des fins stratégiques ou politiques et offrir la garantie qu’on discute du travail réel, avec une parole libre.
Il se distingue donc de toute forme strictement descendante de réunion, servant à diffuser une information.
Quelle ingénierie méthodologique pour les espaces de discussion ?
Un espace de discussion sur le travail peut être orienté strictement vers la résolution de situations-problèmes à caractère de risque psychosocial, par exemple, en mobilisant les outils proposés par l’ANACT.
Il peut aussi favoriser un temps collectif plus réflexif, orienté vers le retour d’expérience (analyse de la pratique professionnelle) ou bien vers le développement de la posture managériale (codéveloppement).
Il peut être l’occasion de valoriser les ressources existantes ou les savoir-faire mis en œuvre, par le moyen d’ateliers collectifs appréciatifs qui visent à faire discuter sur ce qui fonctionne ou sur leurs réussites quotidiennes, créant ainsi une dynamique de groupe « orientée solution ».
Il peut enfin prendre des formes plus originales, en favorisant la discussion autour du développement des ressources, à partir d’un jeu sérieux ou d’un modèle quadridimensionnel d’analyse (approche par le modèle SLAC et un jeu sérieux adossé, le tout développé par la chaire Management et Santé au Travail de l’IAE de Grenoble, dont Relyens est aujourd’hui partenaire4) Les solutions sont donc plurielles, les orientations diverses, au service de la discussion collective et de la résolution des problèmes, l’essentiel, est de discuter.
Pour conclure
Réfléchir aux espaces de discussion sur le travail dans les organisations suppose donc que ces dernières entrent dans une certaine modernité en matière de gouvernance, en favorisant une implication réelle des travailleurs dans le façonnage des manières de travailler et dans la prise de décision effective.
Sous réserve que les différentes parties s’entendent à propos des objectifs attendus et des moyens méthodologiques à engager pour animer ces espaces, il peut s’agir d’un élément structurant majeur de la politique de prévention des risques, en faveur de la santé mentale au travail. Cela induit une considération réelle pour l’expertise des travailleurs, tout en faisant en sorte que ces derniers soient contributeurs effectifs de l’organisation du travail.
Il y a donc tout à gagner à stimuler la prise de parole collective sur les conditions de réalisation du travail, ses éventuels malentendus et leur résolution effective. Cela ne peut qu’agir positivement sur l’intention de rester et de s’engager sur le long terme, ainsi que sur la créativité de chacun. Autrement dit, une stratégie « gagnant-gagnant ». Il n’y a rien à perdre, mais au contraire tout à gagner.
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