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Prévention et santé au travail Absentéisme
Publié le 17 février 2019 Modifié le 7 janvier 2025
Temps de lecture : 10 minutes

Identifier et agir sur les exigences émotionnelles dans son organisation

emotionnel

Les exigences émotionnelles désignent les attentes ou contraintes imposées par un métier ou une organisation en termes de gestion des émotions. Elles font référence à la nécessité de maîtriser et façonner ses propres émotions,

Ces pressions émotionnelles, si elles ne sont pas correctement gérées, peuvent avoir des effets néfastes sur la santé mentale des équipes et mener notamment à l’épuisement professionnel. Il est donc essentiel de bien identifier ces exigences émotionnelles au travail et d’agir en amont pour les prévenir. Comprendre et anticiper ces facteurs peut aider à mettre en place des mesures adaptées à son organisation pour protéger la santé mentale des collaborateurs et améliorer la qualité de vie au travail.

L’exigence émotionnelle : un facteur de risque psychosocial

Les exigences émotionnelles ont été répertoriées en 2011 dans le Rapport Gollac comme un des 6 facteurs de risques psychosociaux au travail au même titre que l’intensité du travail et le temps de travail, l’autonomie insuffisante, la mauvaise qualité des rapports sociaux au travail, les conflits de valeurs et l’insécurité de la situation de travail. Ce rapport élaboré par un collège d’expertise formé par l’INSEE visait à disposer d’un système de suivi statistique sur les risques psychosociaux.

Les exigences émotionnelles au cœur des métiers de service

Les métiers en contact avec le public sont particulièrement concernés par ce risque professionnel : exigence de sourire ou de bonne humeur, tensions avec le public, contact avec la détresse humaine… L’exigence de devoir cacher ses émotions peut également concerner d’autres secteurs d’activité quand la culture dominante de l’organisation est le contrôle total de soi en toutes circonstances et l’affichage constant d’une « attitude positive ».
Le secteur sanitaire et social et la fonction publique d’une manière générale sont plus souvent exposés aux « exigences émotionnelles » que le secteur privé .
43 % des agents de la fonction publique vivent des situations de tension dans leurs rapports avec le public.

Comprendre les interactions entre les exigences émotionnelles et le travail émotionnel

Le rapport SRPST (2021), qui vise à établir des actions concrètes de prévention des risques RPS introduit une notion complémentaire : le travail émotionnel.

« La notion d’exigence émotionnelle peut être utile pour mesurer l’impact sur la santé de ce qu’on appelle ”travail émotionnel” […]. Les exigences émotionnelles peuvent contribuer positivement à la dynamique psychique, mais elles peuvent aussi causer des souffrances et des troubles […] »

Il est crucial de comprendre la dynamique entre le travail émotionnel et les exigences émotionnelles au travail :

  • Le travail émotionnel se réfère au contrôle conscient des émotions pour répondre aux attentes des autres ou pour influencer leurs émotions. Ce travail dépend de la manière dont chaque individu gère ses propres émotions et interactions dans son contexte professionnel. Par exemple, une infirmière restera souriante et empathique pour apaiser un patient, même si elle ressent elle-même des inquiétudes ou de la fatigue.
  • Les exigences émotionnelles au travail, comme nous l’avons vu en introduction, sont des attentes ou des contraintes imposées par un métier en termes de gestion des émotions. Ainsi, elles sont définies par le métier ou l’organisation.

Ces deux notions sont interconnectées et ont un impact cumulatif. Plus les exigences émotionnelles sont élevées, plus le travail émotionnel nécessaire pour y faire face peut être intense. Il est donc essentiel de mettre en place des mesures préventives ciblant les exigences émotionnelles afin de réduire leur impact sur la santé mentale des collaborateurs.

Les bonnes pratiques pour agir sur les exigences émotionnelles

Agir sur les exigences émotionnelles nécessite la mise en place de trois grandes étapes :

  1. l’identification des postes à risques,
  2. l’analyse de l’organisation du travail,
  3. la mise en place d’actions de prévention.

1- L’identification des postes à risques liés aux exigences émotionnelles

Le rapport Gollac met en évidence quatre domaines distincts liés aux exigences émotionnelles : la relation avec le public, le contact avec la souffrance, le fait de devoir cacher ses émotions et le vécu de la peur.

En nous concentrant sur les métiers de la fonction publique territoriale et hospitalière nous pouvons établir des catégories de poste associées à ces domaines :

  1. Les postes en relation avec du public : ces métiers incluent des fonctions telles que l’accueil en mairie, les secrétaires médicales, les services d’urbanisme, l’état civil, les crèches, globalement les métiers où les professionnels interagissent directement avec les usagers et doivent souvent faire preuve d’empathie et de patience.
  2. Les postes en contact avec des personnes en souffrance : tous les métiers du soin d’une manière générale, tels que ceux des travailleurs sociaux, d’agents d’accueil CCAS, ou d’aides à domicile par exemple. Ces personnes sont exposées du fait des spécificités de leur métier, à la détresse des autres et peuvent se sentir découragés et démotivés face au nombre parfois important de situations individuelles difficiles à gérer.
  3. Les postes demandant un contrôle important de ses émotions : comme les infirmiers, les médecins, ou encore les agents d’accueil ”vitrine de la mairie”, les enseignants…
  4. Les postes pouvant nécessiter la gestion de situations traumatisantes : ces métiers peuvent inclure des intervenants dans des situations d’urgence ou de crise, où le stress et les émotions fortes sont courants comme le personnel des SDIS, les urgentistes, les infirmiers en réanimation…

Le contrôle des émotions : une exigence professionnelle implicite

Le besoin de devoir cacher ses propres émotions implique de dissimuler ou de simuler des émotions ou des opinions. Certaines organisations valorisent tout particulièrement le contrôle de ses émotions, et y reconnaissent une compétence professionnelle et sociale. Cela incite implicitement ces collaborateurs à cacher leur fatigue, leur stress ou leur lassitude, notamment dans les organisations en mode projet et peut impacter leur santé mentale.

Les sources de peur au travail

La peur peut être une réalité dans le milieu professionnel. Pour vaincre ce sentiment de peur des efforts supplémentaires doivent être déployés pour gérer les émotions, ce qui peut devenir insoutenable à long terme.

Nous pouvons distinguer plusieurs sources de peur au travail :

  • La peur d’accidents : cette crainte est particulièrement présente dans les postes à risque, comme l’élagage ou les services techniques.
  • La peur de ne pas bien faire son travail : cela peut résulter d’un manque de formation, d’effectifs ou de temps pour préparer les tâches. Cette peur peut également être une conséquence d’une forme d’anxiété au travail. Pour en savoir plus sur l’anxiété au travail et ses implications, consultez notre article « Anxiété au travail : nos conseils de prévention”.
  • La peur de la violence externe : Des rôles comme ceux des agents du CCAS ou des policiers municipaux peuvent être exposés à des situations de violence, augmentant le stress lié à la sécurité personnelle.

La première étape consiste donc à identifier ces risques lorsqu’ils sont présents dans l’organisation. Il existe différentes façons de les identifier : le questionnaire proposé aux agents, les entretiens, l’analyse des fiches de remontées des incivilités, la connaissance des postes.

2. Analyser l’organisation du travail et les soutiens existants face aux exigences émotionnelles

Il est assez rare que l’on rencontre sur le terrain des agents qui confient ne pas être assez formés pour gérer certaines situations ou certains publics. Bien souvent, ce sont les conditions d’exercice de leur métier qui affectent les agents et, qui parfois entravent la qualité de la relation qu’ils mettent en place avec l’usager. Les conditions de travail elles-mêmes impactent parfois la qualité de service rendu.

Le rôle primordial de l’environnement de travail

L’environnement de travail joue un rôle important pour les postes recevant du public. L’exemple des agents de l’état civil est instructif : dans certaines organisations fonctionnant en « open space », la confidentialité des échanges ne peut pas être garantie, alors que les situations traitées le nécessitent. Ou encore, lorsque l’agent en charge de l’encaissement des frais de restauration scolaire auprès des parents, doit les recevoir via un guichet ouvert devant la file d’attente ne permettant pas des échanges discrets. Cette configuration peut générer des tensions auprès de parents mal à l’aise lorsqu’ils doivent expliquer une situation financière difficile impliquant des retards ou des difficultés de paiement. Autant de situations relationnelles qui peuvent impacter négativement la sensibilité des agents.

L’importance du soutien collectif dans les situations relationnelles difficiles

Le soutien entre collègues, comme celui apporté par la hiérarchie dans les situations difficiles, est essentiel dans la prise en compte de la réalité du travail des agents en relation avec un public en souffrance, comme les agents d’accueil des CCAS par exemple. Ils doivent parfois manœuvrer entre des contraintes et limites institutionnelles, et la souffrance de ceux qu’ils reçoivent. Comment maintenir le sens au travail, et son implication dans le travail lorsque l’on ne peut répondre favorablement aux demandes d’aides auxquelles on est confronté ?

L’écoute des agents pour une analyse de l’organisation du travail efficiente

L’analyse de l’organisation du travail passe par l’écoute des agents et de leurs difficultés, leurs limites exprimées. En s’interrogeant sur ce qui fait sens pour eux, les managers peuvent mieux appréhender les défis auxquels leurs collaborateurs sont confrontés. L’action du management est prépondérante, il s’agit d’être attentif aux signes d’usure psychologique et veiller à ne pas banaliser les situations difficiles.

Cette seconde étape d’analyse des situations concrètes de travail doit permettre de recueillir et d’identifier les exigences émotionnelles liées à l’organisation même du travail, celles liées à la collaboration entre les individus et celles liées aux profils des collaborateurs. Il convient alors de conduire une réflexion sur les actions possibles à déployer pour diminuer les risques et mieux les prendre en compte.

3. Mettre en place des actions de prévention

Quatre types d’actions de prévention des RPS peuvent être distingués :

Les actions visant à consolider l’organisation du travail

Elles ont pour objectif de limiter les risques d’agression, de limiter l’usure professionnelle , et de favoriser la qualité des échanges entre collaborateurs, en analysant les causes des situations d’agression, d’incivilités ou d’épuisement professionnel. Cette analyse devra permettre d’ajuster certaines missions, de modifier un environnement de travail, de consolider une organisation.

Les actions dont l’objectif est la formation les agents

La formation permet aux agents territoriaux et aux personnels hospitaliers de gérer des situations difficiles, conflictuelles, mais aussi elle apporte un soutien, une aide à prendre du recul sur leurs propres limites face aux situations rencontrées par la mise en place de groupe de soutien, de réunions d’échanges entre collègues.

Les actions pour former l’encadrement

Ces actions offrent un accompagnement et un soutien à l’encadrement lors de situations conflictuelles dans le service. Elles forment les managers à conduire des entretiens avec les membres de leur équipe confrontés à une agression, à identifier les signes d’épuisement professionnel , et à analyser les situations pour dégager des actions d’amélioration.

Les actions visant à réparer, accompagner les personnes en souffrance

Ces actions, telles que les espaces de discussion sur le travail permettent de communiquer sur les moyens et compétences internes disponibles et d’instaurer une procédure de remontée des situations difficiles rencontrées par les équipes, et de monter des partenariats avec des psychologues pouvant recevoir les collaborateurs potentiellement traumatisés.

Focus sur les exigences émotionnelles dans la fonction publique hospitalière

La FPH cumule les exigences émotionnelles , avec des agents à la fois :

  • en contact avec le public (92%),
  • en contact avec des personnes en situation de détresse ou devant calmer des gens (86%),
  • devant parfois cacher leurs émotions au travail (48%),
  • ressentant de la peur pendant leur travail pour leur sécurité ou celle des autres (37,9 %).

Les métiers exercés par les agents de la fonction publique hospitalière exposent à des situations émotionnellement difficiles, face à des patients en souffrance qui demandent une attention particulière. La charge émotionnelle se retrouve également dans l’exposition à des situations potentielles d’agression ou de violence verbale.

Une enquête menée auprès d’un échantillon de Français ainsi que d’un échantillon de personnel soignant en février 2023 note que les soignants sont deux fois plus nombreux que l’ensemble de la population active à subir des incivilités et des violences physiques ou verbales au travail. En milieu hospitalier, l’Observatoire national des violences en santé (ONVS ) retrouve que la majorité des soignants victimes de violence sont les infirmiers (47%) suivis des autres soignants hors-médecins (45%) puis les médecins (8%).

Pour conclure sur les exigences émotionnelles dans la fonction publique

Prendre en compte les exigences émotionnelles est un enjeu clé pour les organisations soucieuses de la qualité de vie et des conditions de travail, et de la santé mentale de leurs équipes. Agir sur les exigences émotionnelles au travail, comme tous les autres facteurs de risques psychosociaux, nécessite une approche de terrain, basée sur l’analyse de situations réelles de travail vécues difficilement par les agents.
Cette démarche permet d’aller bien au-delà des simples mesures correctives ou de soutien psychologique a posteriori. Elle inscrit l’organisation dans une véritable politique de prévention des risques psychosociaux dans la fonction publique, proactive et durable.

Vous souhaitez mettre en place une telle démarche dans votre organisation ?

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