Diagnostic prénatal
Les juristes Sham se penchent sur un élément critique du suivi de grossesse, le diagnostic prénatal (ou anténatal) et les conséquences d’une erreur dans la réalisation de l’examen.
La loi du 4 mars 2002 (1) a instauré, en réaction à l’affaire Perruche (2), un régime spécifique de responsabilité en matière de défaut de diagnostic prénatal d’un handicap congénital. Cette affaire permet de mettre en lumière et de comprendre l’importance capitale d’un diagnostic prénatal effectué dans les règles.
Le point de vue du juriste
Ainsi, l’article L114-5 du code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoit :
« Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. »
Indemnisation du diagnostic prénatal
« La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer. »
Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé (qui ne doit pas être affiliée à une maison de naissance contiguë) est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. »
En d’autres termes, l’enfant porteur d’un handicap à sa naissance ne peut prétendre à une indemnisation du seul fait de l’absence de diagnostic anténatal de sa pathologie. Il ne peut en effet être indemnisé que si son handicap trouve directement son origine dans un acte médical fautif.
Les parents peuvent quant à eux prétendre à une indemnisation de leurs préjudices en cas de handicap de leur enfant non diagnostiqué pendant la grossesse, s’ils rapportent la preuve :
- d’une faute caractérisée,
- et de la perte de chance de recourir à l’interruption de grossesse.
Références
(1) Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
(2) Cour de cassation plénière 17 novembre 2000, n° 99-13701 : reconnaissance du droit pour l’enfant né handicapé d’être indemnisé du préjudice lié à sa naissance
L’appréciation de la faute caractérisée
Pour ouvrir droit à indemnisation, la faute caractérisée doit revêtir un certain niveau de gravité, c’est-à-dire une gravité supérieure à celle de la faute simple. Ainsi, le Conseil d’État comme la Cour de cassation apprécient la faute caractérisée au regard de son intensité et de son évidence (1).
Par exemple, la faute caractérisée est retenue en cas d’absence de réserve du médecin ou de la sage-femme lors de l’examen échographique.
Ainsi, dans une affaire soumise à l’appréciation du juge administratif, une femme avait donné naissance, en 2001, à un garçon atteint d’un syndrome de « Vacterl » souffrant notamment d’importantes malformations de l’avant-bras droit et de la main droite avec une agénésie radiale, qui n’avaient pas été diagnostiquées.
Saisi de l’affaire, le Conseil d’État considéra que :
« Dans les circonstances de l’espèce, l’absence de vérification de la conformité des quatre membres du foetus constitue une faute qui, par son intensité et sa gravité, est caractérisée. […] En l’espèce, les comptes rendus des trois échographies mentionnent à tort que le foetus disposait de quatre membres, de mobilité et de segmentation satisfaisante » alors qu’il ressort « des constatations du rapport d’expertise que de telles affirmations ne peuvent résulter que d’une absence de contrôle visuel direct du membre supérieur droit lors de la réalisation des échographies, soit que ce membre n’ait fait l’objet d’aucun contrôle, soit qu’il ait été confondu avec le membre supérieur gauche » et « qu’il ne résulte en outre pas de l’instruction que la réalisation des examens échographiques sur Mme A… aurait présenté des difficultés particulières ».
Ici, le Conseil d’État ne sanctionne pas la seule absence de diagnostic, mais en réalité l’absence de réserve du médecin. C’est finalement l’indication du médecin affirmant avoir vu les membres litigieux, qui répond aux critères d’intensité et d’évidence définissant la faute caractérisée.
Dans le même sens, la Cour de cassation a pu préciser que le fait de mentionner à tort dans des comptes rendus d’échographie que « les membres étaient visibles avec leurs extrémités » ou « la présence de deux mains », constitue « une faute qui, par son intensité et son évidence était caractérisée (2).»
Plus récemment, le Conseil d’État a annulé une décision de la Cour administrative d’appel de Nantes qui ne retenait pas la faute caractérisée d’une sage-femme n’ayant pas diagnostiqué la malformation cardiaque inter-ventriculaire d’un foetus par ailleurs atteint de trisomie 21 (3). Dans cette affaire, en se référant aux seuls comptes rendus des échographies des deuxième et troisième trimestres, la Cour administrative d’appel avait considéré que la sage-femme avait effectivement vérifié la présence de quatre cavités cardiaques équilibrées et le croisement des gros vaisseaux. Pourtant à la lecture des échographies jugées respectivement de qualité « moyenne » et « médiocre », il était impossible d’objectiver les quatre cavités cardiaques, l’équilibre des cavités et la position des gros vaisseaux. L’expert avait en outre déploré la brièveté du temps d’examen et le caractère stéréotypé de leur compte-rendu.
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Est en revanche à noter que dans ses conclusions accompagnant la décision du Conseil d’Etat du 13 mai 2011 (cf supra), le rapporteur public, précisait bien que « toute erreur de lecture d’échographie ne doit naturellement pas entrer dans le champ de l’art. L114-5 du CASF. Ici ce que le Conseil d’État censure, c’est l’absence de contrôle visuel direct du bras droit lors de la réalisation des échographies (4). »
Ainsi, a contrario, la faute caractérisée ne sera pas retenue lorsque la seule carence reprochée au médecin est l’absence de détection de l’anomalie.
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Exemples de défaut de diagnostic prénatal
Le défaut de diagnostic d’une agénésie du radius et du pouce de la main gauche et pont osseux entre la 6e et 7e côtes, n’a pas été considéré comme une faute caractérisée au sens de l’article L114-5 du CASF (5).
Même solution en l’absence de proposition d’une amniocentèse alors que l’analyse des marqueurs sériques maternels avait mis en évidence un risque d’anomalie chromosomique égal à 1/372 (taux inférieur au taux permettant de proposer à la patiente une amniocentèse, seul examen susceptible de diagnostiquer avec certitude la trisomie 21). La Cour avait ici estimé qu’il ne pouvait être reproché au praticien de ne pas avoir proposé d’amniocentèse à l’intéressée dans la mesure où cet examen est proposé dans le cas d’un risque estimé à 1/260, critère non atteint en l’espèce.
En outre, il n’existait pas d’autres signes en faveur d’une trisomie 21.
En revanche, elle jugeait que le praticien avait manqué à son obligation d’information de la femme enceinte sur les résultats de l’examen, en se bornant à indiquer à la patiente qu’ils étaient bons. Elle considérait toutefois que ce manquement ne pouvait s’analyser en une faute caractérisée, au sens des dispositions de l’article L. 114-5 du CASF (6).
La faute caractérisée ne sera pas davantage retenue en cas de difficultés diagnostiques spécifiques (ex. : absence de diagnostic anténatal d’une pseudo-obstruction intestinale chronique (7), absence de diagnostic anténatal d’une exstrophie vésicale (8) ).
- La faute caractérisée pourra en revanche être retenue en cas d’absence (ou d’insuffisance) de réalisation d’acte de diagnostic prénatal.
A titre d’exemple :
La Cour administrative d’appel de Paris dans une décision du 31 juillet 2014 a retenu que le fait de ne pas avoir proposé aux parents de consultation génétique alors que cette consultation s’imposait, compte-tenu des symptômes présentés par l’aîné et le cadet de la fratrie, constitue une faute caractérisée (maladie de Fanconi) (9).
De même, la faute caractérisée sera retenue en cas d’absence ou d’erreur de transmission aux parents des résultats des tests de dépistage (10).
Il en sera encore ainsi en cas d’absence d’information de la patiente (étape importante de l’accueil de la parturiente sur l’existence d’un risque de pathologie grave du foetus) :
Le Conseil d’État a ainsi retenu que « La patiente aurait dû être informée de l’hypotrophie très marquée du foetus, dont la taille était inférieure au troisième décile (3e percentile), et son immobilité presque totale, rapprochées de la consanguinité des parents et d’un antécédent familial, laissaient fortement soupçonner une affection grave et qu’alors même qu’aucune pathologie n’avait pu être identifiée, afin de pouvoir demander l’avis d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal sur la possibilité de pratiquer une interruption médicale de grossesse au titre d’une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable. Ce défaut d’information sur l’existence d’un risque de pathologie grave du foetus est constitutif d’une faute caractérisée (11). »
Toutefois, la faute caractérisée ne sera pas retenue en cas d’absence d’éléments pathologiques foetaux objectifs (12).
Le fait de ne pas avoir eu recours à un médecin qualifié en cas de difficulté de diagnostic peut également être constitutif d’une faute caractérisée :
Dans une affaire jugée par la Cour d’appel Bordeaux le 6 février 2013 dans laquelle le médecin n’avait pas diagnostiqué une trisomie 21 et une malformation cardiaque.
La Cour retient la faute caractérisée dans la mesure où le médecin, alors même qu’il avait rencontré des difficultés au cours des 2 échographies de dépistage pour visualiser la morphologie cardiaque du foetus, n’avait pas eu recours à un médecin qualifié et n’avait pas prescrit d’examens complémentaires (13).
Précisons que dans tous les cas, l’appréciation de la qualité du diagnostic et le cas échéant de l’existence d’une faute caractérisée est réalisée au regard des données acquises de la science au moment des faits.
Références
(1) Cass. 1re civ. 16/01/2013 n° 12-14020, Cass. 1re civ., 5 juillet 2017, n° 16-21.147, CE Ass.13/05/2011 n° 329290
(2) Cass. 1re civ. 16 janvier 2013 n° 12-14020
(3) CE 18 juin 2019 n° 417272
(4) J.-P. Thielley, CE 31 mars 2014 n° 345812
(5) CAA NANCY 27 mars 2018 n° 16NC01589
(6) Cass. 1re civ. 5 juillet 2017 n° 16-21147
(7) TA Bordeaux 3 juin 2014 n° 1200212
(8) CAA BORDEAUX 29 octobre 2009 n° 08BX01876
(9) CAA 31 juillet 2014 n° 11PA03408
(10) CE 19/02/2003 n° 247908, CA Besançon 4/01/2012 n° 10/02448
(11) CE 7 avril 2016 n° 376080, dans le même sens : CAA de NANCY 7 avril 2016 n° 14NC01294
(12) Voir en ce sens : CAA Nancy 23 février 2017 n° 15NC02478
(13) CA Bordeaux 6 février 2013 n° 11/49