Anesthésie et lésions dentaires en établissement public de santé
Ce dossier traite de l’anesthésie et des lésions dentaires en établissement public de santé.
Dans un arrêt du 21 octobre 2009 (n°314759), le Conseil d’Etat a précisé que l’intubation d’un patient en vue d’une anesthésie générale ne pouvait être regardée comme « un geste courant à caractère bénin » impliquant, en cas de dommage, une présomption de faute.
Un régime de responsabilité pour faute
L’arrêt du Conseil d’Etat du 21 octobre 2009 permet d’affirmer que l’intubation en vue d’une anesthésie générale ne relève pas du régime de présomption de faute applicable en matière d’actes de soins courants à l’encontre des établissements publics de santé.
Dès lors, le régime de responsabilité applicable en matière de bris dentaire est celui de la responsabilité pour faute. Il en résulte que la responsabilité de l’établissement hospitalier n’est pas systématiquement retenue en cas de bris dentaire survenu au cours d’une intubation.
A titre d’exemple, le tribunal administratif de Nice a appliqué ce principe dans un jugement du 3 février 2012 : « la circonstance que […] les conditions de l’intubation soient à l’origine du traumatisme dentaire de Mme S. n’est donc pas de nature, en elle-même, à permettre d’engager la responsabilité pour faute ».
Les circonstances propres à chaque incident sont dès lors primordiales. Elles sont non seulement susceptibles d’exonérer l’établissement mis en cause de toute responsabilité mais peuvent également conduire, dans les cas où la responsabilité serait néanmoins retenue, à réduire le montant de la réparation mise à la charge de l’établissement.
Incidence d’un mauvais état dentaire
Si un mauvais état dentaire est constaté lors de la consultation pré anesthésique, des précautions supplémentaires doivent être prises par l’anesthésiste lors de la réalisation du geste d’intubation. A défaut, le juge est susceptible de retenir une faute à l’origine du bris dentaire survenu.
Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a ainsi retenu dans un jugement du 7 juillet 1994, la responsabilité de l’établissement mis en cause :
« Considérant que cette intervention avait été programmée et n’a pas été pratiquée en urgence ; que la fragilité dentaire avait été mentionnée sur la fiche anesthésique ; que malgré l’ouverture de la bouche estimée satisfaisante par l’expert, il n’a pas été jugé utile, ni d’équiper la mâchoire d’un dispositif de protection type gouttière, ni d’utiliser l’une des deux méthodes d’intubation pratiquées dans les cas difficiles et susceptibles d’éviter cette conséquence dommageable prévisible de l’opération ».
De même, le tribunal administratif de Bordeaux a considéré dans un jugement du 16 décembre 1997 : « que la fragilité des dents avait été constatée lors de l’examen préopératoire ; que le fait pour un médecin anesthésiste de n’avoir pas suffisamment tenu compte des particularités de l’état dentaire du patient constitue, dans les circonstances de l’espèce, une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement hospitalier ».
A l’inverse, un mauvais état dentaire peut parfois être considéré comme une négligence imputable à la victime et, par là même, source d’exonération partielle de la responsabilité de l’établissement.
A titre d’exemple, on peut citer un jugement du 7 juillet 1994 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand :
« Considérant que la requérante ne pouvait ignorer l’état précaire de ses dents puisqu’il résulte du rapport d’expertise qu’elle l’a elle-même signalé aux médecins ; que consciente du danger encouru, puisque déjà opérée auparavant à deux reprises selon les mêmes modalités, elle n’a pas estimé utile de faire procéder aux soins que la prudence commandait dans de semblables conditions ; que par suite, de la négligence de la victime, la responsabilité encourue par l’établissement hospitalier, devra être exonérée de moitié. »
Dans le même sens, le tribunal administratif de Caen a retenu, dans un jugement du 9 février 2012 que l’état de santé bucco-dentaire du patient a concouru à la réalisation du dommage. Ainsi, bien qu’une faute soit retenue à l’encontre du Centre Hospitalier, sa responsabilité est atténuée dans la proportion de 50%.
Par ailleurs, l’état antérieur de la dentition étant pris en considération lors de l’évaluation des préjudices imputables au geste médical, un mauvais état dentaire peut conduire à une diminution du montant de l’indemnisation due à la victime.
Appréciation de la faute en situation d’urgence
L’urgence, si elle n’est pas systématiquement exonératoire de responsabilité, peut conduire le juge à faire preuve de bienveillance vis-à-vis du professionnel ayant pratiqué l’intubation.
Ainsi, dans un jugement du 22 février 2000, le tribunal administratif de Chalons en Champagne a considéré :
« Il résulte de l’instruction que la dent 11, pilier d’un bridge de deux dents, présentait un état antérieur de fragilité, qu’eut égard à la soudaineté du bronchospasme ainsi qu’au risque vital qui en résultait pour le patient, le recours à l’intubation a été en l’espèce indispensable, que si le médecin anesthésiste a arraché les dents 11 et 12 lors de cet acte d’intubation, cet arrachage provoqué par le choc de l’abaisse-langue utilisé en urgence, ne constitue pas, dans les circonstances de l’espèce, une faute de nature à engager la responsabilité du Centre Hospitalier ».
L’urgence ne peut néanmoins être considérée comme une circonstance systématiquement exonératoire de responsabilité, notamment lorsque le dommage aurait pu être évité par des mesures de précaution supplémentaires malgré la situation particulière.
Le Tribunal Administratif de Marseille a ainsi retenu la responsabilité de l’établissement dans un jugement du 9 novembre 1994 en raison du déchaussement de plusieurs dents survenu au décours d’une césarienne réalisée en urgence :
« Considérant que la parturiente souffrait, avant son opération, d’une parodontie très visible ; que d’ailleurs elle portait une attelle métallique renforçant ses dents ; que malgré l’urgence de la césarienne, l’anesthésiste a effectué, ainsi qu’il y était tenu un examen de la patiente avant l’intervention chirurgicale ; qu’ainsi son attention aurait dû être alertée sur la fragilité de la dentition de la requérante. Considérant d’autre part qu’il est constant qu’une anesthésie peut être pratiquée soit par intubation soit par ventilation sous masque ; Que le choix de la 1ère méthode, qui était inadaptée à l’état dentaire de la patiente constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement. »
Appréciation de la faute en cas de difficulté particulière
Aucune faute ne pourra être reprochée à l’établissement s’il est démontré que le praticien s’est heurté à des difficultés particulières dans la réalisation du geste.
Ainsi, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dans un jugement du 15 février 2012 écarte la faute de l’établissement public de santé étant donné que l’origine du traumatisme dentaire est imputable « d’une part à l’état dentaire défectueux […] et d’autre part aux difficultés du geste anesthésique dues à la nécessité de réaliser chez Mme K. une intubation par mandrin de Eischmann, manœuvre plus difficile du fait de la moindre visibilité ».
Le tribunal administratif de Strasbourg avait retenu une solution similaire dans un jugement du 7 juillet 1998 :
« Considérant que la chute de la dent […] dont la réalisation a été favorisée par les difficultés particulières d’introduction de la sonde dans la trachée ; qu’il n’est établi aucun manquement aux règles de l’art au cours de cette intubation ; que dès lors aucune faute de nature à engager la RC du CH ne peut être établie ».
Responsabilité liée au défaut d’information
Comme lors de la réalisation de tout autre geste médical, la responsabilité de l’établissement est susceptible d’être mise en cause pour défaut d’information préalable sur les risques.
Ainsi, le tribunal administratif de Nice, dans un jugement du 3 février 2012, a condamné un établissement au motif qu’il ne rapportait pas la preuve que la patiente « ait effectivement été informée qu’un traumatisme dentaire peut se produire au cours d’une anesthésie générale » et qu’elle « ait été informée qu’elle avait le choix entre une anesthésie générale et une anesthésie locale ».
De même, dans un jugement du tribunal administratif de Marseille rendu le 07 octobre 1997, la responsabilité de l’établissement a été retenue aux motifs : « que selon l’expert, dont l’appréciation n’est pas démentie par les pièces du dossier, le service hospitalier a manqué à son obligation d’informer le requérant du risque, auquel est exposé tout patient, d’expulsion ou de luxation d’une dent en cas d’intubation ; que, dès lors, l’établissement doit être déclaré responsable des conséquences dommageables de l’accident ».
Rappelons toutefois que les exceptions à l’obligation d’information (urgence, impossibilité…) sont toujours susceptibles d’être opposées au requérant.