Améliorer les pratiques au bloc opératoire grâce à des technologies numériques innovantes
Le Professeur Eric Vibert s’intéresse depuis longtemps à l’innovation numérique en chirurgie. Dès 2012, il commence à travailler sur ce sujet avec des mathématiciens de l’INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), avec lesquels il a développé des programmes autour de la modélisation de l’hémodynamique hépatique et de l’anatomie du foie.
Qu’est ce que la Chaire BOPA (Chaire Innovation Bloc Opératoire Augmenté) ?
« La Chaire BOPA est la suite d’une aventure commencée en 2016 et qui consistait en l’organisation du WIC (Week-end de l’Innovation Chirurgicale), un Think Tank qui réunissait des anesthésistes, des infirmiers de bloc opératoire, des sociologues, des mathématiciens, des start-up, pour réfléchir à la manière dont on allait transformer notre métier. À travers des réflexions sur la chirurgie et le numérique, nous avons rapidement compris que le numérique ne pouvait pas se concevoir sans une transformation des esprits. Petit à petit, le week-end des innovations chirurgicales, qui initialement était tourné vers le numérique, le cyborg, l’intelligence artificielle, s’est transformé en quelque chose de plus humain, où les ordinateurs n’allaient pas remplacer, mais « augmenter l’homme ».
Au terme de 3 ans de recherche, nous avons lancé avec Patrick Duvaut de l’Institut Mines-Télécom, un Do Tank : un lieu où on réalise les idées du Think Tank. C’est comme ça qu’est née BOPA. L’objectif principal de la Chaire est le suivant : augmenter la sécurité des soins invasifs au sens large, c’est-à-dire la chirurgie, l’endoscopie, la radiologie interventionnelle, à travers deux méthodes. L’une consiste à transformer l’esprit du bloc opératoire, à réfléchir sur la manière dont on va transformer notre rapport à l’erreur pour pouvoir mieux l’analyser (approche anthropologique et très humaine). L’autre approche est quant à elle technologique. Elle consiste à augmenter le bloc opératoire et en particulier les gens qui y travaillent, via le numérique. Cette augmentation va se caractériser par une hypertrophie des sens : la vue, l’ouïe et la parole, et le touché. Cette augmentation du chirurgien, de l’anesthésiste, de l’infirmier anesthésiste sera réalisée par un ordinateur, qui va être, non pas le pilote, mais le copilote du chirurgien et de l’anesthésiste. On ne parlera donc pas d’intelligence artificielle, mais d’intelligence augmentée, voire auxiliaire. L’enjeu, est bien sûr que le chirurgien modifie ses modes de travail et accepte d’être « augmenté ». En effet, on observe souvent de la réticence de la part des chirurgiens à regarder leurs erreurs avec objectivité.
La Chaire d’innovation BOPA est donc en train de créer des « boîtes noires » dont l’objectif est à la fois de mieux comprendre comment se sont produites les erreurs dans un bloc opératoire, mais également de profiter de ces erreurs (ou presque erreurs) pour découvrir des innovations. Car il n’y a aucune idée nouvelle qui ne soit pas le fait d’une erreur ou d’une presque erreur. Cette Chaire BOPA est également une innovation dans sa forme. Aujourd’hui les partenariats qui existent entre le public et privé, sont basés sur la notion de propriété intellectuelle et on se rend compte que la majeure partie des innovations, des inventions sont des logiciels informatiques ou des algorithmes, qui sont très difficilement brevetables. On ne peut donc pas déposer un brevet comme sur une molécule ou un dispositif médical.
Ainsi, nous avons mis en place des partenariats entre le public (AP-HP) et des start-up ou entreprises privées. Nous réunissons ces start-up afin qu’elles échangent ensemble et créent des synergies. C’est par exemple ce que nous avons fait avec deux start-up qui, travaillant en synergie, sont en train de créer une lunette qui suit le regard du chirurgien (qu’on appelle Blok-Viz) au bloc opératoire (l’une apportant le software, l’autre le hardware). Le device créé, va ensuite se développer sous les conseils d’experts, spécialistes métier de l’AP- HP. Ces Preuves de concept (POC) sont financées par l’argent des Fondation Mines-Telecom et Fondation AP-HP et grâce aux mécénats de Relyens et Boston Scientific Foundation d’une part, et d’Orange Healthcare, Medtronic et Richard Wolf d’autre part ».
Qu’est ce que le bloc opératoire augmenté ?
« Tout d’abord, et c’est presque l’aspect le plus important, le bloc opératoire augmenté est un bloc dans lequel il y a une meilleure communication entre les professionnels ; ils s’écoutent et interagissent davantage. D’un point de vue technologique, ensuite, ce bloc opératoire augmenté va être un lieu où on va filmer des opérations de manière extrêmement précise, pour aider le chirurgien à prendre des décisions en peropératoires, en lui évitant d’oublier des choses. Cet outil qui accompagne le chirurgien offrira la possibilité de demander de l’aide et de communiquer avec l’extérieur (télé-expertise), la possibilité d’avoir un ordinateur qui comprend une situation (chatbot) et qui va poser des questions contextuelles en fonction du type d’opération ou du dossier patient. C’est ce qu’on appelle le Blok-Bot.
Un autre système qui sera mis en place sera celui de la réalité augmentée ou réalité mixte avec lequel on pourra projeter en peropératoire, des modèles, ou jumeaux numériques d’organes. Ces objets numériques auront des caractéristiques biomécaniques qui seront les mêmes qu’un organe normal. On va donc sur imprimer devant les images réelles du bloc ces organes rendus transparents, afin de faire une chirurgie extrêmement précise (hologrammes, écran devant les yeux du chirurgien ou écran classique dans le bloc). Les interactions avec les outils de reconnaissance du champ opératoire vont permettre d’orienter et de positionner le jumeau numérique dans la même situation que l’organe réel. C’est ce qu’on appelle le Blok-Touch.
Le dernier élément du bloc opératoire augmenté est l’utilisation de la lumière et en particulier de la fluorescence, ce qui va nous permettre de mieux voir des cancers notamment. Enfin, il y a dans la Chaire BOPA une réflexion autour des Co-bot, bras articulés qui vont accompagner le chirurgien lors des chirurgies sous célioscopie notamment, en tenant les instruments pour fiabiliser, ralentir et stabiliser le geste. Il sera cependant nécessaire d’avoir un bloc opératoire haut débit, capable d’absorber toutes ces informations qui viennent des différents devices (vue, audition, touché), pour pouvoir mettre en place notre boîte noire du bloc opératoire ».
Pourquoi l’apprentissage de l’erreur assisté par la technologie peut-elle améliorer la sécurité des patients au bloc ?
« Il y a une nécessaire transparence à mettre en place au bloc opératoire et plus largement en médecine. Il faut instaurer le droit à l’erreur ainsi que le devoir de transparence. La Chaire BOPA a pour objectif d’améliorer les pratiques au bloc grâce à des technologies numériques innovantes. Nous devons envisager cette révolution médicale. Aujourd’hui, nous sommes dans l’interprétation de la vérité plus que dans l’analyse. Les comptes-rendus opératoires sur lesquels nous prenons des décisions sont l’expression de l’interprétation d’une situation par le chirurgien dans un contexte particulier. Nous avons besoin d’informations objectives et fiables. Et ce travail de la Chaire BOPA va permettre de comprendre les erreurs, d’observer où elles ont été faites, afin de mieux les corriger, et pourquoi elles ont été faites, afin d’éviter qu’elles ne se reproduisent plus. Dans le cas d’une erreur qui ne se serait jamais produite, nous allons pouvoir la diffuser et informer les autres collègues, de manière analogique à celle des pilotes d’avion dans le domaine de l’aéronautique.
Et à travers ces erreurs ou presque erreurs, nous pourrons découvrir et véritablement innover. Il y a aussi dans cette transparence à mettre en place, la possibilité de définir ce qu’est un bon ou un mauvais chirurgien. Non pas pour le blâmer, mais pour l’aider à devenir meilleur. Au bloc, nous avons besoin de métriques pour définir ce qu’est un chirurgien qui opère bien et qui sera donc capable d’affronter des situations difficiles avec de bons résultats. Nous devons définir ce qu’est la difficulté d’une opération, (et cela n’est pas toujours en rapport avec les suites opératoires). Cela dans l’objectif de pratiquer des chirurgies, dites compliquées, dans des centres experts et des chirurgies plus simples dans des centres moins experts. Ainsi, nous diminuerons la mortalité et la morbidité des patients et améliorerons la sécurité des soins ».
EN SAVOIR PLUS SUR LES ENJEUX DE CYBERSÉCURITÉ EN ÉTABLISSEMENT DE SANTÉ
La menace du risque cyber qui plane sur les établissements de santé aujourd’hui est bien réelle. De plus en plus de pratiques et de processus sont numérisées ou digitalisées ; les règles et la juridiction se développent. Mais les enjeux de cybersécurité s’accompagne également d’innovations, qui améliorent la qualité du parcours de soin des patients. Si cette thématique vous intéresse, voici une liste d’articles qui abordent cette dualité contemporaine :
- L’intelligence artificielle au service de la sécurité au bloc opératoire,
- La révolution tranquille de la santé : 5 nouveaux défis pour l’avenir de la gestion des risques,
- La numérisation dans les hôpitaux implique de nouveaux risques physiques,
- Protection du risque informatique : quelles sont les règles européennes,
- La loi SEGUR : améliorer le système de santé par la confiance et la simplification et évolution réglementaire.
Les experts Relyens ont également publié un article dédié au Risque Cyber et à la cybersécurité dans les établissements de santé : le risque cyber en établissement de santé, d’où provient la menace ?
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