Erreur médicamenteuse et responsabilité pénale
Le cas du mois concerne la condamnation d’un interne pour homicide involontaire et la relaxe de la personne morale de l’établissement.
Les faits
Lors d’une séance de chimiothérapie associant un traitement intraveineux et une injection intrathécale, l’interne du service décide de réaliser, dans un premier temps, la ponction lombaire puis dans un deuxième temps, le traitement intraveineux.
Cependant, c’est le kit de chimiothérapie intraveineuse (Vincristine) qui a d’abord été ouvert sur la paillasse des infirmières.
Après installation de la patiente, l’interne procède à un repérage pour la réalisation de la ponction avec injection intrathécale et s’empare de la seringue tendue par l’infirmière, qui l’interroge à l’effet de savoir s’il souhaitait bien la seringue de Vincristine.
L’interne lui répond « mécaniquement » par l’affirmative et procède à l’injection.
L’erreur est rapidement découverte lorsque l’on s’aperçoit que la poche de Méthotrexate, destinée à la chimiothérapie intrathécale, est restée intacte sur la paillasse de la salle de soins.
Le médecin référent, présent dans le service, est immédiatement prévenu ainsi qu’un médecin anesthésiste et la patiente est transférée.
Malgré une prise en charge adaptée, la toxicité neurologique du produit injecté par erreur dans le liquide céphalorachidien entraine inéluctablement le décès de la patiente.
Le rapport de l’expert
Les deux expertises ordonnées successivement par le juge d’instruction ont débouché sur des avis contradictoires quant à l’imputabilité exclusive de l’accident à une erreur humaine ou à l’incidence d’un défaut d’organisation de l’établissement, de son plateau technique ou de ses protocoles.
Ne contestant pas sa responsabilité pénale, l’interne fait valoir la concentration extrême et la focalisation sur la réalisation d’un geste technique difficile en raison de la morphologie et de l’arthrose lombaire de la patiente dans un environnement de travail particulièrement stressant (service d’oncologie, patiente réticente, pressions de la famille), ce qui l’aurait conduit à oublier de vérifier la nature du produit à injecter malgré l’interpellation de l’infirmière.
Mais l’interne soulève aussi un déficit d’encadrement des internes et dénonce l’insuffisance du protocole de préparation et d’acheminement des produits anticancéreux.
Le jugement du tribunal
(TGI Montpellier – 17 déc. 2008)
L’interne et l’établissement de santé ont été renvoyés ensemble devant le tribunal correctionnel.
S’appuyant sur l’analyse du second expert sur le circuit d’acheminement et le conditionnement des médicaments, le tribunal a estimé que les circonstances de l’accident ne permettaient pas de retenir la responsabilité pénale de la personnalité morale pour les raisons suivantes :
« […] si les deux poches de Vincristine et de Méthotrexate peuvent arriver par le même envoi par le pneumatique, les poches de conditionnement sont séparées et le dossier ne permet pas de penser que les deux poches aient pu être ouvertes concomitamment, séparant le produit des étiquettes ; en effet, la poche de Méthotrexate a été retrouvée intacte sur la paillasse de la salle de soins après l’injection erroné de la Vincristine. L’accident apparaît en définitive exclusivement imputable à l’erreur humaine qu’aucun protocole, fut-il particulièrement strict, de type double lecture à voix haute de la nature du produit à injecter, ne permet d’éviter ».
Le tribunal a donc relaxé la personne morale des fins de poursuites et a condamné l’interne à deux mois d’emprisonnement assorti du sursis, prenant en compte les circonstances de l’accident dans un environnement de travail stressant, la personnalité de l’interne et ses qualités professionnelles.
Commentaires
Cette affaire nous donne l’illustration de l’erreur humaine qui, même si elle peut paraître relativement grossière, demeure bien d’actualité.
En effet, un autre accident de même cause ayant donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire est survenu cette année lors d’une séance de chimiothérapie associant les mêmes produits médicamenteux dans des circonstances presque identiques.
Le jugement prononcé ici soulève la question de l’organisation du service et des mesures de prévention associées à la mise en œuvre et à la réalisation du traitement, mais conclut à une erreur d’inattention exclusivement imputable à l’interne sur le terrain de la faute pénale.
Cette erreur a vraisemblablement été favorisée par la difficulté du geste technique de la ponction lombaire par lequel l’interne s’est trouvé entièrement absorbé, mais elle apparaît trop subjective pour constituer une décharge valable en droit pénal.
En matière de prévention, ce type d’accident pourrait néanmoins susciter une approche globale de la causalité en replaçant la dimension personnelle de l’erreur humaine dans son environnement et son contexte à la frontière de l’organisation du service :
- charge de travail,
- contraintes de service,
- complications prévisibles dans l’exécution des soins…
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