Prévention de l’usure professionnelle et maintien durable dans l’emploi, des leviers de la QVCT : retour d’expérience à propos d’un dispositif d’accompagnement national auprès des établissements de santé et médicosociaux
Le maintien durable dans l’emploi est un des piliers constitutifs du développement de la QVCT (qualité de vie et des conditions de travail). A ce titre, il revêt des enjeux qui peuvent se structurer autour de deux axes majeurs. D’une part, accompagner les établissements de santé dans la mise en œuvre et le déploiement de dispositifs permettant de renforcer la prévention de l’usure et de la désinsertion professionnelle. D’autre part, accompagner les agents en situation de retour à l’emploi, afin de leur proposer des ressources spécifiques leur permettant de construire la suite de leur trajectoire professionnelle. Notre partenariat avec l’ANFH, dans le cadre d’un programme national (débuté en 2018) proposant aux établissements de santé adhérents de travailler sur ces deux axes, permet aujourd’hui de partager quelques bonnes pratiques qui apparaissent fondamentales. Après près de 3 ans d’expérimentation, quels constats peut-on formuler ?
Le dispositif national, adressé par l’ANFH auprès d’une multiplicité de structures (CHU, CHRU, CHI, CH, EHPAD, FAM, ESAT, SSR, MAS, MECS…), nous a conduit à accompagner plus de 100 établissements et près de 500 agents. Il s’est organisé autour :
- D’un accompagnement des établissements, au moyen d’une offre de formations-actions relatives à la mise en œuvre d’une politique de prévention de l’usure professionnelle et de maintien dans l’emploi
- D’un accompagnement des agents (volontaires), au moyen d’une offre modulaire permettant de construire un parcours personnalisé sécurisant le retour, le maintien au poste de travail ou la reconversion professionnelle.
Plusieurs facteurs de réussite peuvent être mis en avant.
La nécessité de concevoir une politique intégrée de prévention de l’usure professionnelle
Un facteur-clé de réussite d’une politique de maintien durable dans l’emploi est l’existence et l’animation d’un dispositif intégré qui articule plusieurs type d’actions complémentaires. Tout d’abord, il apparaît nécessaire de professionnaliser les acteurs-clés de l’institution autour des problématiques (notions élémentaires, méthodologie de détection, appuis financiers à mobiliser, outils d’évaluation des situations de travail, enjeux psychiques du retour à l’emploi ou de la reconversion professionnelle…). La montée en compétences des acteurs de la prévention, des ressources humaines et de l’encadrement est donc un premier levier, afin d’avoir un discours et une approche homogènes.
Ensuite, la dynamique interne de mise en œuvre repose sur l’existence d’une commission maintien dans l’emploi. Celle-ci doit être en capacité de se réunir régulièrement pour statuer sur la base des données de santé-sécurité dont elle dispose, d’assurer une veille des situations à risque, d’anticiper en mettant en œuvre des stratégies spécifiques auprès des métiers exposés et de définir un certain nombre de ressources internes ou externes mobilisables au cas par cas. Cela peut aller d’un budget dédié à la formation prioritaire des agents en situation de reconversion ou de retour à l’emploi, jusqu’à la définition de configurations temporaires de travail pour des agents de retour après une longue période d’arrêt (à ce titre, le dispositif « cadre vert » élaboré par l’INRS apparaît comme une démarche innovante et une source d’inspiration).
La dynamique interne repose aussi sur un diagnostic qui permette le recensement des populations, métiers, postes ou situations de travail particulièrement exposés à l’usure professionnelle. Le recours à des temps d’échange avec les agents autour du travail réel, doit permettre d’aboutir à un ciblage des environnements critiques, sur la base de données factuelles. Il doit aussi permettre de mieux comprendre les logiques inhérentes aux stratégies construites par les agents et aux trajectoires professionnelles qui en découlent, afin de mieux anticiper et d’élaborer de véritables parcours destinés à agir sur la durée d’exposition à des activités à forte usure. Une telle approche peut aussi être pensée dans une logique territoriale, pouvant aboutir à la construction de partenariats au niveau local, afin par exemple de favoriser des mobilités « verticales ».
La réussite d’une politique interne de maintien dans l’emploi repose enfin sur la capacité à détecter les situations ou postes de travail à risque et sur la capacité à assurer le ré-accueil des agents en situation de maintien dans l’emploi. La détection est essentielle pour agir en préventif et pas uniquement en curatif. C’est à ce titre qu’il convient de s’appuyer non seulement sur les indicateurs sociaux, affinés au plus près des unités de travail et pas globalisés, mais aussi sur tous les leviers qui peuvent alimenter l’analyse de manière plus qualitative. Par exemple, l’entretien annuel est une opportunité de recueillir des informations sur l’impact du travail, les conditions de santé de l’agent et sa capacité à se projeter durablement dans son emploi, ainsi que de recueillir des signaux faibles qui peuvent échapper aux indicateurs classiques. Un outil complémentaire d’identification peut être associé, afin d’aboutir à un recueil exhaustif et qui permette l’action, sans attendre une dégradation. Cela peut, en outre, favoriser une lecture longitudinale pour constater les éventuelles évolutions négatives ou croiser les situations individuelles et dessiner des tendances.
Le ré-accueil d’un agent doit être anticipé, encadré et suivi afin qu’il serve de levier de prévention pour garantir un retour durable en phase avec ses compétences et expertises, autant de garanties d’une reprise fructueuse. La mise en place d’un processus de ré-accueil, avec l’appui d’outils innovants destinés à recueillir les besoins (on peut évoquer, par exemple, la mobilisation de la grille ACT45+, proposée par l’IRSST) et points d’attention (humains, techniques, organisationnels), dans la perspective d’un aménagement ou d’un projet de reconversion, est un atout incontestable.
Il s’agit donc d’articuler différents dispositifs qui sont tous complémentaires et nécessaires, avec un objectif central : anticiper et prévenir, dans la perspective d’une lecture systémique et collective. Il apparaît toutefois que la diversité des situations médicales ou psychosociales des agents, dans le cadre du maintien dans l’emploi, nécessite aussi des dispositifs permettant une approche plus individualisée.
L’importance d’envisager un dispositif pluridisciplinaire pour accompagner les situations individuelles
Les actions de soutien individuel au maintien dans l’emploi peuvent être, quant à elles, de plusieurs ordres. On peut distinguer 3 grandes catégories. Tout d’abord, des actions destinées à réassurer l’agent en situation de maintien dans l’emploi, que ce soit dans le cadre du retour au poste de travail ou bien dans le cadre d’une reconversion, au moyen d’un programme dédié à l’accompagnement psychologique de la transition professionnelle. En effet, il est significatif qu’une longue absence ou un retour au poste de travail avec des difficultés de santé peuvent rendre incertain le sentiment de pouvoir s’inscrire durablement dans son poste ou son service et être un facteur supplémentaire d’anxiété. De même, l’hypothèse d’une reconversion professionnelle, rendue nécessaire par l’état de santé, peut fragiliser l’estime de soi et générer un questionnement autour des capacités de l’agent à se projeter dans un autre métier ou un autre type de structure. L’accompagnement psychologique autour de ces points précis peut être soutenant dans une telle période.
Ensuite, on relève aussi qu’un temps destiné à faire un « pas de côté », au moyen d’un bilan des compétences et des appétences offre une meilleure connaissance de soi, qui peut être bénéfique. L’expérience montre que ce temps doit être associé à un accompagnement plus opérationnel à la construction d’un parcours de reprise ou alternatif, afin de confronter les désirs et potentialités de l’agent à la faisabilité réelle et au marché. C’est un point de passage essentiel, pour consolider la reprise ou tout autre projet.
Enfin, la possibilité d’une sécurisation de la reprise du travail, à travers un temps spécifique d’accompagnement mobilisant une expertise en analyse ergonomique (entendue comme une analyse d’activité ciblant des séquences de travail précises), est un atout indéniable. Outre que cela permet de faire un bilan de la situation existante, de faire un inventaire des besoins réels d’amélioration et de formuler des alertes éventuelles, cela favorise aussi la prise de conscience par l’établissement du point d’équilibre nécessaire à trouver entre l’agent et son environnement de travail. En perspective, cela permet aussi de tisser les compromis adéquats et de maintenir la performance attendue, tout en garantissant les impacts minimes sur la santé de l’agent concerné.
Un bilan positif, reflet des enjeux sociétaux et économiques autour de la prévention
Notre retour d’expérience s’avère donc positif et apprenant, au regard de notre implication dans les dispositifs soutenus par l’ANFH durant ces 3 dernières années, au titre de l’amélioration des politiques de maintien dans l’emploi au sein des établissements de santé. C’est en agissant de manière à combiner plusieurs catégories d’action, collectives et individuelles, qui couvrent les besoins d’accompagnement à différents moments de la chronologie de la prévention et du maintien dans l’emploi (en amont, par des actions préventives de détection et en aval, par des actions curatives d’accompagnement), que le succès peut être au rendez-vous.
Cette expérimentation ne peut être pleinement couronnée de succès qu’à la condition que les décideurs soient impliqués et portent une véritable volonté d’agir, en faisant preuve d’innovation et en optant pour des choix qui, s’ils peuvent apparaître d’abord comme des « coûts », finissent la plupart du temps par se transformer en « bénéfices ». En effet, maintenir durablement dans l’emploi en prévenant le risque d’usure professionnel permet de contenir le turn-over, la démotivation, la fuite des expertises, les arrêts de travail (longs ou perlés) ou encore les tensions collectives (liés notamment aux reports de charge). On peut rappeler, à ce titre, quelques chiffres importants : 1 euro investi dans la prévention rapport 2,20 euros, au bout d’une durée moyenne de 18 mois. La prévention est donc clairement et indiscutablement un investissement « durable ».
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Les questions de qualité de vie au travail, le stress qui pèsent sur le personnel des établissements de santé, des hôpitaux et des établissements de santé social et médico-social, les problématiques d’usure professionnelle et de QVCT sont centrales pour les acteurs de la santé. Si cette thématique vous intéresse, n’hésitez pas à consulter les articles suivants, rédigés par nos experts :