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Sécurité des soins Analyse de risque
Publié le 7 août 2021 Modifié le 29 janvier 2024
Temps de lecture : 9 minutes

Traumatismes dentaires et intubation en anesthésie générale

Identifier les facteurs de risques d’un traumatisme dentaire et les comprendre est essentiel pour la prévention.

La sinistralité

Si l’on se réfère à la sinistralité de Relyens sur les 10 dernières années, entre 125 et 150 dommages de lésions dentaires sont déclarés chaque année. L’analyse des dossiers de sinistres fait apparaître que dans 80% des cas, l’origine du dommage dentaire est due à une intubation. Les autres causes comme les chutes ou les agressions représentent les 20% restant.

Concernant les accidents d’anesthésies, 40% d’entre eux sont en rapport avec un traumatisme dentaire.

La responsabilité de l’anesthésiste peut être mise en cause soit par un examen clinique insuffisant, soit par l’absence d’information du patient concernant les risques de traumatisme dentaire lors de l’intubation.

Dr. Franck DENHEZ
Chirurgien Dentiste, Expert près la Cour d'Appel de Versailles, Hôpital Percy CLAMART.

« Les traumatismes alvéolo dentaires, lors de l’intubation en AG, sont des incidents dont la fréquence n’est pas négligeable. Par définition, ces incidents peuvent toucher la dent et/ou son support osseux (l’os alvéolaire). L’intubation peut parfois être réalisée dans un contexte d’urgence et constituer un geste salvateur. Il n’en est pas de même en chirurgie réglée et en acte diagnostic où le patient aura bénéficié d’une consultation pré anesthésique pendant laquelle l’opérateur aura eu soin de noter les critères difficiles d’intubation et informer des risques son patient. »

Difficultés à l’intubation

Plusieurs éléments généralement anatomiques, morphologiques et/ou pathologiques peuvent constituer une difficulté à la laryngoscopie lors de l’intubation :

  • une petite ouverture buccale
  • une macroglossie
  • un trismus (généralement levé par les curares)
  • un larynx en position céphalique chez les sujets brévilignes à cou court
  • les tumeurs pharyngo-laryngées
  • les raideurs du rachis cervical
  • l’état de la denture et son contexte

Les facteurs anatomo physiologiques et pathologiques en rapport avec la denture favorisant les traumatismes alvéolo dentaires lors de l’intubation :

Situés au carrefour antérieur de l’extrémité céphalique, les dents et les maxillaires constituent un véritable pare choc naturel de la face. C’est pourquoi un certain nombre de facteurs constitutionnels comme la proalvéolie qui aboutit à des dents en position très avancée, ou la rétrognatie qui se manifeste par un menton fuyant et une langue très postérieure doivent être considérées comme des difficultés éventuelles et doivent être soigneusement notées.

L’âge est un élément à considérer. En effet, la denture lactéale (denture de lait) par nature plus labile surtout en phase de résorption radiculaire, sera plus fragile qu’une denture définitive mature. De même, une denture mixte avec des dents définitives (dont l’édification des racines n’est pas finie) et des dents lactéales, constitue un élément de fragilité.

La denture de la personne âgée (souvent porteuse de nombreux soins prothétiques et de soins conservateurs) par diminution physiologique de la qualité du tissu de soutien des dents (résorption osseuse physiologique) est plus exposée aux traumatismes alvéolo-dentaires liés à l’utilisation du laryngoscope.

L’état plus ou moins carieux des organes dentaires constitue un élément de fragilité pour la partie coronaire des dents. Même soignée et reconstituée, la dent demeure plus fragile qu’une dent saine.

Les dévitalisations effectuées lorsque le processus carieux est avancé, diminuent les propriétés mécaniques des dents. En effet, le ligament alvéolo-dentaire ne joue plus son rôle d’amortisseur (processus de synostose) et le dessèchement fragilise la dent lors des chocs.

Un autre élément pathologique à considérer et non l’un des moindres, est constitué par l’ensemble des maladies parodontales. Elles aboutissent à de fortes mobilités de la dent allant parfois jusqu’à la perte de l’organe. Elles sont en rapport avec une perte progressive de l’os qui soutient les dents. Les troubles de dentinogénèse qui rendent la dent plus fragile favorisent la survenue de fractures coronaires et/ou radiculaires.

Ils constituent des éléments de fragilité.

On distingue :

  • la prothèse conjointe classique : il s’agit de couronnes de recouvrement avec ou sans ancrage radiculaire, bridge, éléments fixes reconstituants une ou plusieurs dents et prenant appui sur des dents naturelles.
  • la prothèse sur implant : la racine naturelle de la dent est remplacée par une racine artificielle en titane ostéointégrée. Ce support est généralement solide lorsque l’ostéointégration est présente et paradoxallement les risques de luxation de l’implant à l’intubation sont certainement moins élevés que pour une dent naturelle. L’implant est porteur d’une couronne prothétique vissée ou scellée.
  • la prothèse mobile ou adjointe : il s’agit d’une prothèse amovible qu’il faudra absolument faire retirer au patient avant toute intervention chirurgicale, même sous anesthésie locale. La prothèse peut être totale, dans ce cas, toutes les dents naturelles sont absentes et les risques de traumatismes alvéolo-dentaires à l’intubation sont inexistants. La prothèse peut être partielle, c’est-à-dire qu’il reste des dents sur l’arcade, dans ce cas, la plaque prothétique se substitue aux dents manquantes.

Mécanisme lésionnel à l’origine du traumatisme dentaire (le fait générateur)

L’appui mécanique excessif du laryngoscope au niveau des dents ou des prothèses est le plus généralement à l’origine du traumatisme. Ce mécanisme n’est pas le seul, on se doit également d’évoquer un serrage iatrogène des dents en peropératoire, voire dans la phase de réveil, sur la sonde d’intubation, la canule de Guedel, le masque laryngé ou tout autre élément présent à ce moment entre les arcades dentaires (fibroscope, instruments de chirurgie…). Les dents “victimes” sont le plus souvent les incisives.

Les traumatismes alvéolo dentaires les plus fréquemment observés :

Ils vont de la simple fracture d’un bord libre de l’émail, à l’expulsion complète de la dent avec une partie de la table osseuse sans exclure le risque d’inhalation ou d’ingestion de l’élément fracturé ou luxé.

  1. Fracture de dents :

    Elle peut toucher la partie coronaire ou radiculaire de la dent. Elle peut intéresser le bord libre de l’émail, atteindre la dentine, aboutir à l’exposition de la pulpe, voire à une fracture complète au collet (base de la dent) de la partie coronaire. La fracture de racine peut aboutir d’emblée à une perte de la partie fracturée ou se manifester par une simple mobilité. Dans le cas de dents présentant des soins conservateurs et / ou prothétiques, il peut s’agir de la perte d’une restauration de type composite, de la fracture ou d’un éclat de céramique sur une couronne prothétique esthétique.

  2. Le descellement de prothèses dentaires fixés avec ou sans atteinte de l’élément support (racine, moignon dentaire) :

    L’opérateur aura soin de conserver et d’identifier l’élément prothétique qui dans un certain nombre de cas, sous réserve de l’intégrité du support, pourra bénéficier le plus rapidement possible d’un rescellement sans aucun autre préjudice.

  3. La subluxation dentaire :

    La dent a été mobilisée lors du geste d’intubation, elle présente alors une mobilité résiduelle avec une douleur à la mastication et parfois une difficulté à fermer normalement la bouche ressentie par le patient.

  4. Luxation dentaire :

    La dent a quitté son alvéole, une remise en place rapide s’impose lorsque l’organe dentaire est intègre. Mais le risque majeur de cet incident réside dans la possibilité d’ingestion ou pire, d’inhalation. La perte de la dent peut s’accompagner dans le cas de manoeuvre particulièrement brutale, d’une fracture partielle de l’os alvéolaire qui soutient la dent.

  5. Nécrose pulpaire :

    Tout geste traumatique sur une dent vivante peut être à l’origine d’une rupture du paquet vasculo nerveux de la dent aboutissant à un phénomène de nécrose pulpaire dont les manifestations esthétiques (coloration grisâtre de la dent) et pathologiques peuvent être très retardées par rapport au fait générateur.

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Quels sont les moyens à adopter afin de prévenir les risques de survenue de traumatisme dentaire lors de l’intubation ?

L’identification des facteurs de risques. Il repose sur un examen clinique approfondi et minutieux de la cavité buccale et de la denture. L’interrogatoire médical doit par exemple permettre de préciser la présence de prothèse esthétique au niveau des incisives qu’il est parfois difficile à mettre en évidence lors de l’examen clinique pour un oeil pas suffisamment averti.

L’identification des facteurs de risque repose sur une connaissance a minima par l’opérateur des pathologies bucco dentaires.

  • La réalisation d’un cliché radiologique de type panoramique des maxillaires peut être indiquée. Il a l’avantage de fixer l’état de la denture du patient avant l’intubation, il identifie plus facilement les dents fragiles ou porteuses de restaurations prothétiques. Rappelons que cet examen radiologique est souvent demandé dans le cadre du bilan préopératoire pour RFI, il paraît tout à fait raisonnable de l’étendre à la prévention du traumatisme dentaire.
  • En cas d’identification de facteurs de risques importants, ne pas hésiter à demander une consultation en odonto stomatologie afin de préciser l’état dentaire antérieur du patient avant l’intubation et d’effectuer les soins nécessaires préventifs ou curatifs : extraction d’une dent très mobile, confection d’une gouttière souple afin de protéger des dents fragiles ou des restaurations prothétiques importantes…
  • L’information du patient et le recueil de son consentement éclairé devant le risque potentiel de traumatisme dentaire lors de l’intubation est important. Il est parfois négligé et invoqué ultérieurement en cas de litige.
  • Lorsque l’incident survient :

     

  • Palier à l’aggravation : inhalation ou ingestion d’un élément luxé ou fracturé,
  • demander dès le réveil, parfois même quand cela est possible en per-opératoire un avis autorisé. Rappelons qu’une dent luxée, lorsqu’elle est remise et contenue dans son alvéole dans des délais raisonnables, conserve une chance de survie considérable,
  • faire pratiquer dès que possible une radiographie panoramique des maxillaires afin d’établir le degré du traumatisme dentaire,
  • une prise en charge rapide dans l’établissement, quand celui-ci dispose d’un service d’odonto stomatologie, constitue toujours un facteur apaisant et rassurant pour le patient conscient que tout est mis en oeuvre pour palier à l’accident ou l’aléa thérapeutique dont il a été victime. En outre, elle limite tout processus d’aggravation.

Conclusion

Il est probable que les traumatismes alvéolo dentaires survenant lors des intubations demeurent une part considérable des incidents relatés en anesthésie. En effet, avec le vieillissement de la population, l’anesthésiste sera de plus en plus confronté à des sujets âgés ayant conservé une denture souvent porteuse de multiples soins conservateurs et de restaurations prothétiques fixes de plus ou moins grande étendue. Le patient qui aura au cours de sa vie, au prix de multiples efforts notamment financiers, préservé un état dentaire acceptable, admettra difficilement le dommage qu’il pourrait subir lors d’une intubation dans le cadre d’une chirurgie ou acte diagnostic réglée.

En savoir plus

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