Regard d’expert sur le dossier patient : Dr Montmartin
En tant que médecin-conseil Sham, la doctoresse Ghislaine Montmartin nous explique son travail chez Sham, et son rôle dans la gestion et le management des risques liés à la tenue du dossier médical : elle nous aide à faire le point sur les risques inhérents au dossier patient, notamment en cas de contentieux.
En tant que médecin-conseil Sham, en quoi consiste votre travail ?
Le rôle des médecins-conseils au sein de Sham est d’assurer la gestion médico-légale des dossiers de sinistres corporels en responsabilité médicale.
En termes de volume, nous avons enregistré en 2013 plus de 5 500 réclamations de sinistres liées à des accidents médicaux. Plus de 1 100 décisions des juridictions administratives ou judiciaires ont été rendues. L’activité contentieuse est donc soutenue.
Nous intervenons dès le stade initial de la déclaration de sinistre adressée par nos sociétaires. Nous devons alors évaluer le préjudice corporel prévisionnel, c’est-à-dire les séquelles liées à l’acte de soin litigieux afin que le gestionnaire sinistre Sham puisse déterminer les enjeux financiers potentiels du dossier (provisionnement).
Nous prenons connaissance des pièces de procédure et notamment des pièces médicales transmises et rédigeons une note de synthèse résumant l’histoire médicale avec une analyse médico-légale de la qualité des soins effectués. C’est ainsi que nous sommes amenés à constater une traçabilité de l’information plus ou moins satisfaisante dans les dossiers des patients.
Nous supervisons ensuite le dossier au cours de la procédure qui suit et notamment lors de l’expertise médicale.
La préparation de l’expertise est le temps essentiel du dossier car tout se joue lors de l’expertise. Nous sommes alors amenés à travailler en lien avec les médecins-conseils de notre réseau qui assistent aux expertises et avec les professionnels de santé impliqués. Notre réseau est constitué d’environ 340 médecins (185 généralistes et 155 spécialistes) répartis sur l’ensemble du territoire français. Nous les sélectionnons en fonction de leur spécialité et du lieu géographique de l’expertise.
À l’issue de cette étape déterminante, nous étudions le rapport d’expertise et donnons un avis critique (ou non) au gestionnaire Sham pour l’élaboration de l’argumentaire et des instructions à l’avocat. Nous travaillons ainsi en étroite collaboration pour une meilleure compréhension mutuelle de la problématique médicale et juridique de chaque dossier.
En quoi un dossier médical mal tenu peut-il être préjudiciable dans le cadre d’un contentieux et quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer ?
L’étape déterminante de l’expertise
En matière de responsabilité médicale, l’expertise est l’étape déterminante où l’expert médecin désigné, par un magistrat, doit, conformément à sa mission, apprécier la qualité des soins délivrés à un patient. C’est un exercice particulier dans la mesure où l’expert dispose des pièces du dossier médical qui lui ont été transmises comme seul support objectif de sa réflexion et de son analyse.
L’expertise est donc fondée sur des faits constatés dans le dossier médical, seul ce qui est écrit compte.
Les difficultés sont de plusieurs ordres :
- Le bon accomplissement de la mission confiée à l’expert impose de disposer de toutes les pièces du dossier patient de façon exhaustive. Il s’agit souvent de la première difficulté. Il est parfois difficile d’obtenir auprès des professionnels de santé l’ensemble des pièces du dossier patient.
- Au-delà de cet impératif d’exhaustivité existe une exigence de qualité. Les experts n’aiment pas le « vide » et ce qui n’est pas tracé, ce qui n’est pas noté, n’est, faute de preuve contraire, pas fait. C’est là, le deuxième écueil rencontré.
Un dossier incomplet ne permet pas de préjuger favorablement de l’absence de négligence. Comment démontrer la qualité de la surveillance postopératoire lorsque le dossier est lacunaire sur plusieurs heures ? À l’inverse, un dossier complet et bien tenu est souvent le reflet d’une implication importante des équipes soignantes et, même si cela n’est qu’une question de forme, il n’en reste pas moins que la première impression donnée concernant l’organisation d’un service et la qualité des soins passe par la tenue du dossier patient.
La qualité de l’écriture d’une observation, sa lisibilité ont également leur importance. Cela tr>L’informatisation du dossier patient a permis de répondre à ce problème.
Certaines spécialités sont allées plus loin en uniformisant le dossier patient qui conserve la même structure et présentation quel que soit le service ou l’établissement concerné. L’atout, outre l’aspect très complet des informations répertoriées, est d’avoir une lecture rapide, chacun sachant parfaitement où trouver l’information recherchée. C’est une sécurisation importante de l’information et, de fait, de la traçabilité des soins lorsqu’il y a un litige.
Cependant, a contrario, selon le logiciel utilisé, la mécanisation des données et leur standardisation par l’outil informatique limitent parfois l’information en ne laissant pas un espace suffisant pour l’écrit qui peut être indispensable à la démonstration de la qualité des soins.
Par exemple, lorsqu’il y a une discussion pluridisciplinaire ou une réunion de service pour décider de la meilleure prise en charge possible, bien souvent la traçabilité n’est pas retrouvée dans le dossier.
Cas pratique
Dans un dossier de rupture utérine au cours d’un accouchement par voie basse, l’expert a relevé le manque de traçabilité d’une cicatrice utérine qui, certes, figurait au chapitre des antécédents chirurgicaux de la parturiente mais qui n’était pas très explicitement reprise dans les consignes de modalités d’accouchement. L’expert a conclu à une méconnaissance du caractère cicatriciel de l’utérus qui, s’il avait été connu et pris en compte, aurait certainement alerté l’équipe obstétricale sur la signification des anomalies du rythme cardiaque foetal et aurait probablement amené cette équipe à choisir une naissance par césarienne plus précocement.
- Un autre écueil lié à l’utilisation d’un dossier informatisé est la qualité de la version imprimable qui peut être d’une grande complexité de lecture. Ainsi lorsque le dossier est imprimé pour les besoins d’une expertise, la compréhension du dossier devient extrêmement ardue et il peut être pratiquement inexploitable dans certains cas.
Aujourd’hui, si l’outil informatique est une aide précieuse à la qualité des soins et à la traçabilité des informations patient, indispensable en cas de contentieux, nous commençons à voir émerger des dysfonctionnements liés à l’utilisation de cet outil. Par exemple, les logiciels de prescription des médicaments peuvent parfois être perfectibles.
Cas pratique
Un accident a été lié à l’utilisation d’un logiciel d’aide à la prescription chez un patient opéré du rachis et bénéficiant de l’administration de la première injection d’anticoagulants à titre préventif de la thrombose en salle de soins intensifs vers 18h. Transféré peu après dans le service de chirurgie, il est reçu par l’interne qui prescrit à 19h55 la poursuite de ce traitement avec une injection quotidienne à 20h. Cette prescription est inscrite sur le planning de soins et l’infirmière va l’effectuer. Le patient reçoit alors une seconde injection le jour même au lieu du lendemain 20h. Son évolution va se compliquer d’un hémato rachis.
Si l’on devait retenir une ou deux idées essentielles, à quoi ressemblerait finalement le dossier médical idéal ?
Le dossier patient reste la seule trace objective de l’information délivrée, des soins réalisés, des démarches diagnostique et thérapeutique. Ainsi, si des hypothèses diagnostiques peuvent être évoquées, elles doivent être écrites, argumentées et permettre la compréhension de la démarche médicale.
Le dossier patient ne doit contenir que des faits et faire abstraction de toutes considérations subjectives, opinions ou commentaires personnels.
La technicité toujours plus importante des soins confie aux machines la surveillance d’un certain nombre de paramètres. Il est essentiel de reporter sur un document la traçabilité des mesures effectuées.
En cas d’incident, il faut écrire ce qui a été constaté et ce qui a été fait. Lorsqu’il y aura une expertise plusieurs mois ou années plus tard, la mémoire se révèlera alors bien volatile et imprécise. Les déclarations étayées par des éléments objectifs du dossier seront alors déterminantes.
Toute lacune peut conduire l’expert à élaborer une réflexion basée sur son ressenti, son expérience, voire son intuition.
En résumé
Le dossier médical est avant tout un outil d’aide aux soins et à la sécurité du patient, mais c’est aussi, a posteriori, lorsqu’une réclamation indemnitaire se présente, le seul moyen d’attester des faits sans aucun doute possible.
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La thématique du dossier médical vous intéresse ou vous concerne ? Grâce à leur expertise sur le sujet, les juristes Sham ont rassemblé une série d’articles permettant de mieux appréhender le rôle du dossier patient en tant qu’outil de soins :