Prescription d’un antidépresseur à un mineur et consentement parental
Les experts et juristes Relyens se penchent sur une affaire qui nous interroge sur le consentement parental nécessaire lors de la prescription d’un médicament ou d’un quelconque traitement, ici en l’occurrence un antidépresseur, à un mineur.
- Conseil d’Etat 7 mai 2014 N°359076
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Les faits
En l’espèce, un psychiatre reçoit une première fois, une jeune fille de 16 ans accompagnée de son père, divorcé de la mère et exerçant conjointement l’autorité parentale avec celle-ci. Un diagnostic de « dépression modérée à sévère » est posé. Deux jours plus tard, à la suite de l’aggravation de l’état de la jeune fille, le médecin la reçoit une seconde fois en compagnie de sa mère, et lui prescrit un antidépresseur (Prozac) sans rechercher à recueillir le consentement du père.
Saisie par le père, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des Médecins estime que le psychiatre n’a commis aucun manquement à la déontologie en s’abstenant de prévenir le père.
La décision est annulée par le Conseil d’Etat.
L’arrêt
Le Conseil d’Etat estime que la chambre disciplinaire a commis une erreur de droit aux motifs suivants :
« Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’un acte médical ne constituant pas un acte usuel ne peut être décidé à l’égard d’un mineur qu’après que le médecin s’est efforcé de prévenir les deux parents et de recueillir leur consentement ; qu’il n’en va autrement qu’en cas d’urgence, lorsque l’état de santé du patient exige l’administration de soins immédiats ; (…)
Considérant que, pour juger que le psychiatre n’avais commis aucun manquement à la déontologie en s’abstenant de prévenir le père du mineur, la chambre disciplinaire nationale ne s’est pas fondée sur le caractère usuel de l’acte litigieux mais a estimé que la jeune fille se trouvait dans une situation d’urgence justifiant la prescription d’un antidépresseur en application des dispositions précitées ;
Considérant que, pour statuer ainsi, la chambre disciplinaire nationale s’est bornée à relever que l’état de la patiente s’était aggravé entre le 10 et le 12 novembre 2008 sans relever les éléments précis qui justifiaient en quoi cette aggravation était de nature à caractériser, à elle seule, une situation d’urgence au sens de l’article R. 4127-42 du code de la santé publique, autorisant l’absence d’information du père de la jeune fille mineure ; » .
Commentaires des juristes
Pour rappel, l’article 372-2 du code civil dispose qu’« à l’égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant ».
En matière de santé, la doctrine ainsi que la circulaire N° DHOS/F4/2009/319 du 19 octobre 2009 relative aux règles de facturation des soins dispensés dans les établissements de santé, donnent des indications sur les actes usuels et non usuels.
La circulaire précitée définit les actes usuels comme étant des :
« actes de la vie quotidienne sans gravité, prescriptions ou gestes de soin qui n’exposent pas le malade à un danger particulier, tels que les soins obligatoires (vaccinations), les soins courants (blessures superficielles, infections bénignes), les soins habituels (poursuite d’un traitement) ».
Dans ce cas, le médecin peut se contenter du consentement d’un seul des deux parents.
Quant aux actes non usuels, ce sont des :
« actes considérés comme lourds, dont les effets peuvent engager le devenir du malade et ayant une probabilité non négligeable de survenir (hospitalisation prolongée, traitement comportant des effets secondaires ou ayant des conséquences invalidantes, actes invasifs tels anesthésie, opération chirurgicale) ».
Ces actes nécessitent l’autorisation des deux titulaires de l’autorité parentale, même en cas de séparation.
Les précisions apportées par la circulaire sont similaires à celles de la doctrine.
Néanmoins, par cet arrêt, le Conseil d’Etat sème le trouble sur la définition de la notion d’acte usuel en matière de prise en charge médicale.
En effet, on est en droit de s’interroger sur le sens de sa décision :
Est-ce que le Conseil d’Etat a voulu affirmer un principe selon lequel un acte médical ne peut pas, par nature, être un acte usuel ?
Si tel est le cas, cette décision viendra compliquer la tâche des professionnels de santé prenant en charge des patients mineurs, en ce sens qu’ils devront pour tous les actes médicaux bénins ou graves solliciter l’accord des deux titulaires de l’autorité parentale.
OU
Est-ce qu’il a souhaité simplement préciser que la prescription d’un antidépresseur à un mineur de 16 ans n’est pas un acte médical usuel ?
Nous serions donc en présence d’un arrêt de circonstance qui ne remet ni en cause la doctrine, ni la circulaire du 19 octobre 2009.
Le doute subsistant, la portée de l’arrêt méritera d’être précisée.
En tout état de cause, ce qui est désormais certain, c’est que la prescription d’un antidépresseur à un mineur ne constitue pas un acte usuel et requiert l’accord des deux titulaires de l’autorité parentale.